Créé le 28-02-2013 à 09h56 - Mis à jour le 04-03-2013 à 10h47
Pendant 4 jours, le festival Etonnants Voyageurs s'est posé dans le pays très répressif de Denis Sassou-Nguesso avec près de 90 écrivains venus parler littérature, Afrique et liberté d'expression. Reportage à Brazzaville.
Pendant le festival Etonnants Voyageurs, rencontre avec les élèves du lycée Chaminade de Brazzaville. (©Gaël Le Ny / Etonnants Voyageurs)
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A lire sur Internet
Nous sommes un pays pétrolier, nous avons des richesses.
Pourquoi les Congolais souffrent?
J'interpelle ici les autorités!»
Malaise chez les officiels locaux ;
tumulte enthousiaste dans le reste de la salle, bourrée de lycéens en
uniformes. Le ministre vient lire quelques mots convenus sur le Congo, «terre de littérature et de meurtrissures», c'est-à-dire de traite négrière. Puis repart furax, convaincu d'avoir été pris au piège d'une «mise en scène» d'Alain Mabanckou.De son côté le romancier de «Black Bazar», codirecteur de la manifestation et tout récemment auteur du beau «Lumières de Pointe-Noire», assure n'être pour rien dans ce que tous appellent «l'incident». Ca ne l'empêche pas d'être ravi que son entreprise prenne un tour un peu politique, en montrant qu'une parole libre peut et doit être possible au Congo. On le comprend. Question de valeurs et de crédibilité. Car il n'est pas simple d'organiser un si gros événement dans un tel pays: il a beau se décliner dans une dizaine de lieux, de la jolie petite école de peinture de Poto-Poto à l'enceinte accueillante de l'Institut français, l'essentiel des rencontres a lieu pour raisons techniques au Palais des Congrès, riant chef-d'oeuvre d'architecture néo-stalinienne où siège d'ordinaire le Parlement.
Voilà des
années que Mabanckou tannait Michel Le Bris, capitaine historique du
festival fondé à Saint-Malo en 1990, pour en faire bénéficier ses
compatriotes. Etonnants Voyageurs s'exportait à Bamako depuis 2001, mais
la formule tournait en rond, et le chaos malien imminent imposait
d'aller voir ailleurs. Pourquoi pas en Afrique centrale? L'idée était de
faire que Brazzaville soit «la capitale des lettres francophones après avoir été celle de la France libre».
A l'Institut français du Congo (©Gaël Le Ny / Etonnants Voyageurs)
Le doyen des lettres congolaises, le diplomate Henri Lopes a raison de présenter son cadet comme un «enfant prodigue». Grâce
aux impressionnantes compétences logistiques de l'équipe de Saint-Malo,
Mabanckou est revenu chez lui les mains pleines: avec pas loin de 90
auteurs, cinéastes et musiciens issus de plus de 20 pays, des
traducteurs pour les écrivains nigérians et sud-africains, des
journalistes par dizaines, une quarantaine de membres de France-Inter pour des émissions en direct...Il s'agit de causer de «l'Afrique qui vient», thème un peu fourre-tout de cette première édition. Boualem Sansal est là, qui exhorte ses confrères à ne jamais céder devant la censure; le Malien Ousmane Diarra raconte avec désespoir comment «l'islam intolérant» s'est développé dans son pays, les «ajustements structurels préconisés par le FMI et la Banque mondiale» ayant fait «plonger l'école laïque et républicaine»; l'Egyptien Khaled al-Khamissi dit qu'«être dans les rues du Caire aujourd'hui n'est pas un choix, parce que la résistance est un devoir»; et André Brink, d'accord avec ses compatriotes Mark Behr et Niq Mhlongo, lâche que «le règne de Jacob Zuma est une insulte aux aspirations des Noirs et des Blancs d'Afrique du Sud».
Il n'y a pas toujours foule pour les écouter au Palais des Congrès, mais tous reviennent enchantés de leurs rencontres dans les lycées et la fac. Mabanckou a bien fait de citer Cocteau le premier jour: «Un enfant qui ne rêve pas est un monstre.» Avant d'ajouter: «Nous avons voulu déposer quelques germes de rêve.»
Dans Brazzaville, pendant le festival Etonnants Voyageurs (©Gaël Le Ny / Etonnants Voyageurs)
Il y a du boulot. Et pas seulement parce que 70% des
Congolais vivent avec moins d'un dollar par jour. Certains étudiants ne
se font pas prier pour dire leur sentiment d'étouffer, de ne pas être
informés, de ne pas pouvoir s'exprimer. Une femme a les larmes aux yeux :
faute de vraie maison d'édition, elle a publié un roman à compte
d'auteur et des journalistes de la télé lui ont demandé de l'argent pour
en parler.Il faut davantage tendre l'oreille pour entendre parler de la guerre civile de 1997, à laquelle on fait semblant de ne pas penser. Dans un concert en plein air, une vedette locale a rugi: «Merci au président du Congo/ Pour la paix/ Car la paix n'a pas de prix.» Mais ce matin, un lycéen a confié à l'écrivain algérien Yahia Belaskri:
J'ai la rage, j'ai envie de tout bouffer. Mon père a été assassiné, on a dû fuir dans les forêts. J'ai envie défaire des études, mais s'il y a encore la guerre, je la ferai.»
Il faudrait surtout être sourd comme un pot pour ne pas percevoir un peu partout des allusions scandalisées à la tragédie du 4 mars dernier: un dépôt de munitions avait mystérieusement explosé dans le quartier de Mpila, on parle d'au moins 1000 morts, ceux qui sont allés voir la zone un an après en parlent comme d'un champ de ruines peuplé de malheureux campant sous des toiles de tente.Quant à ce jeune homme, il est carrément «inquiet» pour la romancière qui a fait du tintouin pendant l'inauguration: «Alain [
En attendant, Sassou ne semble pas fâché de ce qui se passe. Dès le lendemain, les écrivains ont reçu un carton de la part de «Son Excellence» pour venir «prendre part à l'apéritif qu'il offre ce vendredi 15 février 2013 à 13h30 à la résidence présidentielle». Et un long tapis rouge a été déroulé sur le perron du Palais des Congrès. Un type le balaie pendant qu'une douzaine d'autres, costumés en soldats d'opérette, disposent des sabres à côté des marches. L'un a l'air sympa. Il est de la Garde républicaine, là pour accueillir le président. Quand? «Le président vient quand il veut.»
Il arrivera deux ou trois heures plus tard, quand la chaleur commencera à cogner, dans une interminable Maybach 62 S noire escortée de motards et de grosses bagnoles. Les alentours ont été sécurisés par des militaires en treillis, mais le tapis et la Garde républicaine ont disparu.
«J'ai pété un câble en voyant ce tapis, raconte Mabanckou, qu'on a connu plus cool. J'ai dit au protocole que c'était une erreur: si le président vient pendant le festival, ce n'est pas pourvoir le Parlement, c'est une visite privée. Ou alors les écrivains s'en vont. »
Il faut croire que le tapis rouge était bien une erreur de protocole. Sassou vient avant tout pour jeter un oeil aux objets d'arts du bassin du Congo, présentés à l'occasion du festival. Et sur le perron, le dispositif officiel a été remplacé par un Blanc élégant qui porte le ruban rouge à sa boutonnière. C'est sa galerie qui expose. Jean-Paul Pigasse est l'oncle de Matthieu Pigasse, propriétaire des «Inrockuptibles» et actionnaire du «Monde».
La veille, on vous l'avait désigné de loin, au côté du ministre de la Culture, comme «le gourou blanc de Sassou». Là, il se présente lui-même en plaisantant comme le patron de «la "Pravda" de Brazzaville» et de la librairie qui va avec. Il laisse entendre qu'il a donné un coup de main pour faciliter la venue des Etonnants Voyageurs, qu'il est très attaché au rayonnement culturel du pays, mais qu'il ne veut «apparaître nulle part». C'est sans doute pour ça qu'il est partout.
«Le régime est très content d'avoir ce festival, résume le délicieux Emmanuel Dongala. C'
Même s'il est parti aux Etats-Unis en 1997, grâce à l'aide de Philip Roth et parce qu'il avait «tout perdu dans la guerre civile», l'auteur de «Johnny chien méchant» est bien placé pour mesurer le chemin parcouru. Dans les années 1980, les premières du règne de Sassou, son «Jazz et vin de palme» avait été mis sur «liste noire»: les fics avaient interrogé ses proches, et arrêté un pauvre libraire. Aujourd'hui, il raconte tout cela en détail et en public. Et il rigole bien d'avoir retrouvé dans l'assistance un des fins lettrés qui, à l'époque, indiquait au Parti les livres à censurer.
Dongala n'est pas allé à l'apéro chez Sassou.
Après quelques hésitations, Mabanckou, Le Bris et une vingtaine
d'écrivains ont accepté d'y faire un saut. La presse n'a pas été
conviée, à l'exception de la télévision nationale. On s'y retrouve quand
même, devant une large bâtisse beige avec piscine, colonnades et vue
plongeante sur le fleuve Congo. L'atmosphère est étrange. Des garçons
servent du champagne Ruinart, des mini-pizzas et des brochettes de
poisson. Sassou serre quelques mains en marmonnant des banalités, suivi
par une meute de courtisans. Mabanckou en profite pour se réconcilier
avec le ministre de la Culture et lui demander de veiller sur la femme
qui l'a interpellé.
«Ma position est qu'il faut aller au coeur du cratère, vient de vous expliquer Michel Le Bris dans le bus.Un
comité de parrainage composé d'auteurs comme Le Clézio, Toni Morrison
ou Alaael-Aswany a été unanime pour approuver le choix de Brazzaville.
Si on attend que l'Afrique corresponde à une démocratie achevée, on peut
attendre. Le deal, c'est qu'on nous fiche une paix royale pour tout ce
qui concerne le contenu du festival. Et l'important, c'est que tout ça
ait un écho auprès de la jeunesse d'ici. Or de cela je suis sûr. Bans
les universités, dans les lycées, ça donne des idées.»
En quittant les lieux, c'est Nimrod, le romancier-philosophe tchadien du «Bal des princes», qui trouve le bon mot pour résumer la situation:
On est venu pour l'Afrique qui vient, et c'est le président qui est venu. C'était écrit. Mais après tout les rois de France protecteurs des arts et des lettres, ce n'était pas si différent. Le Bien et le Mal sont des notions très mélangées.»
Le jour de la clôture du festival, on
trouvait déjà beaucoup de papiers, sur internet, rapportant le coup
d'éclat d'une certaine Gilda Moutsara.
Grégoire Leménager
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