zaterdag 2 maart 2013

"" Les Teutons flingueurs / Nouvel Obs

Après les polars américain, irlandais, suédois, les éditeurs parient sur le succès du polar allemand.

Mots-clés : Bernhard Schlink, Richard Birkefeld, Göran Hachmeister, Nele Neuhaus, Volker Kutscher, Philip Kerr, Andrea Maria Schenkel, Wolfram Fleischhauer, Jan Costin Wagner

Nele Neuhaus.
Son roman, «Blanche-Neige doit mourir», sorti l'automne dernier, a déjà séduit plus de 15000 lecteurs en France (pour 700 000 outre-Rhin). Si l'on est loin encore de la vogue nordique, la vague allemande gagne peu à peu l'édition française de polars. Depuis cinq ans, une cinquantaine de titres ont été traduits: du noir pur et dur, avec flics, enquêtes haletantes et hémoglobine, mais aussi du suspense psychologique et du polar historique.

Sherlock Holmes du IIIe Reich

L'un des auteurs les plus intéressants du moment, Volker Kutscher publie «Goldstein», la troisième enquête du commissaire Gereon Rath de la Kripo (police criminelle) de Berlin. Sa mission: surveiller Abe Goldstein, un juif émigré aux Etats-Unis et membre de la pègre outre-Atlantique, durant son séjour dans la capitale.
Au-delà de l'intrigue, «Goldstein» est une magistrale épopée du Berlin des années 1930, juste avant la prise de pouvoir de Hitler. On y entend les premiers grondements des bottes, observe la passivité des Berlinois face aux manifestations d'antisémitisme, la misère grandissante de la rue, les batailles rangées entre communistes et apprentis nazis, les dérives des Schupos, les policiers chargés de la sécurité publique qui formeront l'Ordnungspolizei (la police régulière) sous le IIIe Reich. Les 620 pages défi lent à l'allure d'un vieux film sépia. Impossible à lâcher.

Par un amusant hasard de calendrier, Le Masque vient de son côté de publier «Vert-de-gris», le 7e volume des aventures de Bernhard Gunther, fameux commissaire de la police criminelle berlinoise créé, en 1995, par Philip Kerr. Aujourd'hui encore beaucoup de lecteurs français enthousiasmés par ses trois premiers romans, réunis sous le titre de «Trilogie berlinoise» pensent avoir affaire à un auteur... allemand. «Un honneur!», lance Kerr, qui est écossais et a inventé un flic aussi sympathique que débrouillard, un «antinazi» dans un système qui ne tolérait aucun écart.
Peu importe la crédibilité de ce Sherlock Holmes du IIIe Reich, le public raffole de ce policier humaniste, devenu très antiaméricain. Fort de son humour scottish, le héros de Philip Kerr porte un regard caustique et assez décalé sur son époque tandis que celui de Volker Kutscher est au ras du siècle, un pion parmi les autres dans une histoire qui va bientôt le submerger.
Alice Monéger, éditrice au célèbre Masque, remarque: 
Pendant longtemps, quand nous proposions aux libraires un polar germanique, ils faisaient la grimace parce que leur seule référence, c'était l'Inspecteur Derrick. Mais les éditeurs allemands publient de plus en plus de textes intéressants, et les agents littéraires commencent même à proposer des titres aux enchères.»
L'année dernière, cette éditrice, qui a vécu en Allemagne, a réalisé un beau coup littéraire avec «Deux dans Berlin» (10000 exemplaires), l'histoire de Hans-Wilhelm Kalterer, membre des services de renseignement de la SS chargé, en 1944, de trouver l'assassin d'un dignitaire nazi. Ce n'était certes pas la première fois que des auteurs allemands (Richard Birkefeld et Gôran Hachmeister) osaient prendre la période la plus sombre de l'histoire allemande comme cadre d'une banale enquête criminelle.
Avant de devenir mondialement connu, en 1996, avec «Le Liseur», Bernhard Schlink avait débuté sa carrière d'écrivain dix ans plus tôt grâce à Selb, un vieux détective privé, trimballant son passé de procureur sous le régime nazi comme un boulet. Bien entendu Selb était l'émanation de la culpabilité allemande. A l'époque, personne n'aurait toléré qu'un écrivain allemand puisse avoir un regard distancié sur le IIIe Reich. Et encore moins dans un genre populaire, le polar. Selb ne pouvait être qu'un détective maudit.

Le filon allemand

Le polar allemand n'est pourtant pas seulement tourné vers le passé. Les parutions des dernières années témoignent d'une richesse de thèmes et de styles impressionnants. L'informatique, le terrorisme, la torture... Les personnages ne sont pas que fics. Ils sont avocats, historiens ou médecins. Sous le label polar, on trouve de très bons romans, où le suspense fait office de sésame éditorial.
Aujourd'hui en France «un quart des romans achetés sont des polars», souligne Claude Combet, journaliste à «Livres Hebdo». Toutes les maisons d'édition, grandes ou petites, ont ouvert un rayon noir dans l'espoir de prendre des parts de marché. Et la plupart ont, dans leur catalogue, un voire deux auteurs allemands. Comme les Nordiques s'essouflent, les Allemands semblent prendre la relève.

L'écrivain Sebastian Fitzek, numéro un du suspense allemand. (H. Henkensiefken)
Actes Sud est la maison qui pousse le plus loin l'incursion dans le domaine allemand. Responsable de la collection «Actes noirs», lancée en 2006, Manuel Tricoteaux est persuadé que «l'Allemagne va exploser». Outre l'excellente Nele Neuhaus, il parie sur le succès d'une autre femme: Andrea Maria Schenkel. Ecrit à deux voix, dans une langue très singulière, son dernier roman, «Bunker», est le récit implacable d'un enlèvement où les rôles de la victime et du bourreau sont subtilement revisités.
Grande spécialiste de littérature allemande, Jacqueline Chambon, rattaché à Actes Sud depuis 2004, a su, elle aussi, dénicher des pépites comme «Trois Minutes avec la réalité», de Wolfram Fleischhauer, un thriller qui plonge le lecteur dans le Buenos Aires du tango et lui fait revivre les pires heures de l'Esma (Ecole supérieure de Mécanique de la Marine) transformé en lieu de torture sous la dictature argentine.
C'est elle aussi qui a repris à Gallimard les polars métaphysiques de Jan Costin Wagner. Cet écrivain très prometteur, qui passe la moitié de sa vie en Finlande, a donné vie à Kimmo Joentaa, un inspecteur basé à Turku, plus attaché à comprendre le ressort de l'âme humaine qu'à arrêter des coupables ordinaires.
Ce mois-ci, Jacqueline Chambon publie «Zone de non-droit», d'Alex Berg, un roman d'une brûlante actualité. Il raconte l'histoire de Valérie Weymann, une brillante avocate de Hambourg, qui se trouve précipitée, à cause de son amitié pour une jeune Syrienne, dans les geôles de la CIA en Europe de l'Est. Directrice de la nouvelle collection policière de Flammarion, baptisée «Ombres noires», Nelly Bernard (transfuge d'Actes Sud) est également captivée par le thème de la terreur psychologique. «La Vérité sur Frankie», de Tina Uebel, s'inspire d'un fait divers réel où trois étudiants tombent sous l'influence du charismatique Frankie, membre supposé d'une cellule antiterroriste.
Le traducteur Olivier Mannoni analyse ce phénomène:
Il y a eu, dans les années 1990, une veine de policiers très politiques avec Jürgen Alberts et Bernhard Schlink. Maintenant on a un polar régional qui se développe dans des micro-régions comme le Harzou le Eifel avec une langue dialectale. A travers le polar, les auteurs s'autorisent plus de recherche linguistique et plus de créativité littéraire.»
C'est précisément par goût de l'écriture que Pascal Arnaud, fondateur des Editions Quidam, a lancé sa collection de polars baptisée «Ames noires». L'éditeur de Meudon est tombé sous le charme de Paulus Hochgatterer, un écrivain et psychiatre pour enfants viennois. Dans «La Douceur de la vie», l'accumulation d'étranges faits divers n'est que le prétexte à une magistrale étude psycho-sociologique de la «paisible» ville autrichienne de Fürth.
D'autres petites maisons d'édition ont en revanche fait du polar leur ADN. Dans le registre du frisson pur, on mentionnera Sebastian Fitzek (L'Archipel), considéré comme le numéro un du suspense allemand, Heinrich Steinfest (Carnets Nord) auteur de polars déjantés, quatre fois lauréat du prix du roman policier allemand, et Zoran Drvenkar (Sonatine), adepte des intrigues à l'architecture complexe. Ce dernier fera d'ailleurs partie des auteurs de polars allemands invités à la 9e édition du Festival Quais du Polar qui se tiendra à Lyon fin mars. Une belle occasion de s'initier au thriller made in Germany. 
Odile Benyahia-Kouider

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