zondag 3 maart 2013

LA NAISSANCE DE L'IMPÉRIALISME EUROPÉEN / Serge Gruzinsky / André Burguière / Nvl Obs

Au XVIe siècle, les Espagnols cinglent vers l'ouest, découvrent et asservissent l'Amérique. Comme les Portugais partis vers l'est, ils cherchaient l'Asie. Pour s'emparer de ses épices et de son or. 

Jour de gloire pour les Espagnols, jour de deuil pour les descendants des Indiens d'Amérique, la conquête de l'Empire aztèque par Hernán Cortés en 1519 continue d'être célébrée comme un fait d'armes prodigieux et un tournant dans le destin du monde. Mais qui se souvient qu'au même moment les Portugais avaient monté une expédition d'un calibre analogue pour envahir la Chine?

L'explication est simple. L'expédition de Cortés, qui s'est emparée, avec 600 cavaliers et quelques canons, d'un pays de 15 millions d'hommes, l'a emporté après avoir frôlé le désastre. Elle a été, pour l'Espagne, la base de lancement d'un empire colonial gigantesque qui a couvert la quasi-totalité du continent. Le projet du Portugais Tomé Pires, mandaté par son roi, a échoué lamentablement. On se souvient plus volontiers de ses succès que de ses échecs. Or la mémoire de l'Europe, grâce au rayonnement de ses historiens, continue à dominer la mémoire de l'humanité.
On s'est habitué à voir dans les grandes découvertes du XVIe siècle un partage du monde auquel le pape, par le traité de Tordesillas, en 1494, donnait son onction pontificale: l'Occident aux Espagnols, l'Orient aux Portugais. Et un partage des tâches: aux Espagnols la mission de civiliser et de christianiser les indigènes; aux Portugais le soin de rapporter les épices et l'or que l'Europe recevait au prix fort par l'intermédiaire des Arabes.


La curiosité et l'élan religieux avaient leur place dans les mobiles des découvreurs. Mais, ce qu'ils recherchaient tous, c'était d'abord le poivre et l'or de l'Asie. Si le Portugais Vasco de Gama, en naviguant vers l'est, est le premier à atteindre les côtes de l'Inde en 1498, c'est parce que Christophe Colomb a trouvé par hasard l'Amérique sur son chemin. Car en cinglant plein ouest, l'envoyé de la cour d'Espagne cherchait aussi à rallier directement l'Asie et ses trésors.
S'emparer du Mexique avec peu d'hommes, comme l'a fait Cortés, était une entreprise folle. Mais s'attaquer à un monde qui avait un retard technologique de vingt siècles sur eux n'était-il pas moins risqué que d'envahir la Chine, aussi civilisée et aussi peuplée que l'Europe? Ce décalage, qui nous semble évident rétrospectivement, ne l'était pas pour les conquistadors.
Les Aztèques comme les Chinois se croyaient le centre du monde. Mais ils ne cherchaient pas à en explorer les contours. La rupture, c'est le passage à l'acte, ce désir de rencontrer l'autre, à la fois humaniste et prédateur, qui a fait perdre aux navigateurs le sens de la mesure. Tour à tour commerçants, évangélisateurs et soudards, ils ont procuré à l'Europe un enrichissement d'un niveau encore jamais atteint en pillant les ressources des terres découvertes et en asservissant leurs populations. L'impérialisme moderne et le capitalisme sont sortis du même coup de dés.
André Burguière
L'Aigle et le Dragon. Démesure européenne et mondialisation au XVIe siècle,
par Serge Gruzinski, Fayard, 436 p., 24 euros.
Source: "le Nouvel Observateur" du 1er mars 2012.

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