Graffiti à caractère raciste sur un mur de la salle de prière musulmane de Seynod, 06/03/04 (JP CLATOT/AFP)
Je suis toujours un peu gênée par les effets d'aubaine d'une lecture
de données à partir d'une affaire en particulier. En l'occurrence,
rattacher la montée des actes et menaces à caractère raciste, antisémite
et anti-musulman en 2012
(+23%) à l'affaire Merah,
c'est perdre de vue la dimension plus générale et durable du racisme en France.
Une actualité brûlante et surchargée émotionnellement ne peut pas tout expliquer, il faut s'intéresser à la dynamique globale.
Le racisme, une compensation au sentiment d'impuissance
Le racisme est une expression constante dans toute structure
anthropologique ; il n'y a pas une société qui en soit exempte. La vraie
question, c'est à quoi sert cette expression et surtout comment on en
vient à ne plus la contrôler. Nous sommes dans une période où
l'inflation et le caractère délirant du racisme prennent, en France, des
proportions inquiétantes.
L'histoire de notre pays, les anciennes colonies en Afrique du Nord
et les migrations post-décolonisation expliquent en partie l'existence
de sentiments anti-Arabe et anti-musulman en France. Pourtant, les
réflexions sur le sujet, mais plus encore les outils et instruments de
mesure ont tardé à être mis en place. Nous l'avons fait sur rappel à
l'ordre des institutions européennes et poussés par la montée en
puissance de réflexions britanniques et américaines sur le sujet,
notamment après le 11-Septembre. Ceci pourrait expliquer la plus grande
attention aux indicateurs du racisme, dont l’islamophobie pour la
troisième année consécutive.
Par ailleurs, nous sommes constamment confrontés à des
transformations dans nos sociétés, qui évoluent en accéléré. Les
changements concernant le travail, l'éducation, les sujets de société,
etc., sont des épreuves permanentes auxquelles les individus doivent
faire face. Il ne s'agit pas là d'effets conjoncturels de la crise –
qui, tout comme l'affaire Merah, a bon dos –, mais d'un champ bien plus
vaste.
Ces évolutions permanentes peuvent entraîner un sentiment
d'anxiété et d’impuissance chez l'individu, qui va alors chercher un
mode de compensation, de consolation. Or le racisme s'y prête
parfaitement : il confère un sentiment de toute-puissance par
l'humiliation, l'avilissement de l'autre. C'est une alternative viable à
l'impuissance et l’incertitude. Il conviendrait donc de s'interroger
sur la façon dont les individus sont mis en capacité, ou pas,
d'affronter les évolutions de nos sociétés.
Plus difficile de ne pas manger de porc qu'il y a 20 ans
Aujourd'hui, en France, il est plus difficile de ne pas manger de
porc à la cantine qu'il y a 20 ans. Une situation qui ne posait aucun
problème auparavant est devenue
gênante. On le voit bien dans les études
qualitatives commandées par la Commission nationale consultative des
droits de l'homme pour compléter son rapport :
55% des Français estiment qu’il ne faut pas faciliter l’exercice du culte musulman en France. On peut y ajouter cette enquête de l'Ipsos du début de l'année révélant que
74% des Français jugent l'islam comme étant "intolérante et incompatible avec la société française".
Du coup, on dénie aux musulmans, entre autres, le droit de manger
selon la règle de leur religion et ce au nom de la laïcité. Celle-ci,
entendue comme principe de gouvernement et non comme idéologie menacée,
n'implique pourtant aucunement de telles mesures.
Quand on connaît en
plus l'importance des pratiques alimentaires en anthropologie et la
place centrale qu'elles occupent dans la construction du bouc-émissaire,
on ne peut qu'être atterré.
Pour un décloisonnement des racismes
L'islamophobie revêt aujourd'hui les habits neufs de l'antisémitisme.
Elle devient une sorte de patriotisme, une façon d'exprimer le fait
d’aimer et de protéger son pays : un racisme vertueux. C'est exactement
sous cette forme que s'est exprimé l'antisémitisme chrétien au cours de
notre Histoire.
Voilà pourquoi je trouve inepte de séparer racisme et antisémitisme
et plaide pour une grille de lecture générale, qui permet de
reconstituer l'intégralité du champ de la haine et de l'aversion. Par
exemple, on ne sait pas actuellement si les islamophobes et les
antisémites sont des personnes différentes ou si ce sont les mêmes qui
circulent d’un racisme à l'autre. Ce serait pourtant une donnée très
intéressante.
Quant à lui, le "racisme anti-Blanc",
dont il a aussi été question en 2012,
ne peut pas être rapporté aux faits recensés. C'est un faux-semblant
dans la mesure où il nie le principe central de domination qui sous-tend
le racisme, à savoir l'asymétrie des positions.
Il n'y a racisme que si
un groupe est en pouvoir de nuire et que l'autre n'est pas en mesure de
riposter à la hauteur.
Propos recueillis par Hélène Decommer.