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Dans l'agglomération lilloise, l'exaspération de la population monte. Dépassés, les élus se renvoient les 3.300 Roms de camp en camp. Reportage à Villeneuve-d'Ascq.
La semaine dernière, des pelleteuses ont croqué son toit de tôle lors du démantèlement de l'immense camp-bidonville de la porte d'Arras, à Lille. "Il y avait des papiers d'identité et des vêtements dedans. On n'a rien récupéré", se lamente Liliana. Alors la jeune Rom de 25 ans est venue s'installer ici, à Villeneuve-d'Ascq, sur le parking P4 du campus universitaire, à deux pas de la station de métro Quatre-Cantons, où étaient déjà agglutinées, en toute illégalité, une bonne trentaine de caravanes.
3.300 Roms pour 1500 places d'accueil
Hier Lille, aujourd'hui Villeneuve-d'Ascq. Où Liliana ira-t-elle demain ? "En Roumanie, on n'avait qu'une baraque. Je voudrais juste une chambre pour mon mari, mon bébé et moi." Mais le futur du petit Daniel ressemblera à son présent : des expulsions qui se succèdent. Toujours partir, entasser les couvertures, débloquer les roues du mobil-home, reprendre la route. C'est à ce jeu infernal de chaises musicales que sont contraints de jouer les 3.300 Roms de l'agglomération lilloise, qui ne dispose que de 1.500 places pour les accueillir sur des aires autorisées."Si on ne les expulsait pas, les Roms resteraient toujours au même endroit. Or il faut que toutes les communes prennent leur part, estime Gérard Caudron, le maire divers gauche de Villeneuve-d'Ascq, qui a quitté le PS en 2001. Il n'y a pas de clivage droite-gauche sur la question : la différence se fait entre les maires qui n'en ont pas sur leur commune et les trouvent bien malheureux, et ceux qui en ont et sont favorables aux évacuations."
Un gros camp a poussé comme un champignon
Le problème rom, ce "vallsiste" convaincu le connaît de près. Les premières expulsions de la métropole validées par la gauche ont commencé dans sa ville, au cœur de l'été 2012. A l'époque, 800 Roms s'arriment aux recoins de la ville nouvelle. Un gros camp a poussé comme un champignon, avec son lot de désagréments - fumée âcre des pneus qui brûlent, musique lancinante le soir. La situation s'enlise, jusqu'à ce que des tirs de voisins excédés décident l'Etat à sévir. Par ici, la sortie ! Les Roms se dispersent comme une volée de moineaux... pour se poser un peu plus loin. Et tant pis si les enfants scolarisés, comme Sorin, 10 ans, se retrouvent à une heure de leur école... "Je ne sais pas si je retournerai au CE1 à la rentrée", confiait alors l'enfant. Au programme, ce sera la manche au feu rouge plutôt que les dictées.Un an plus tard, les Roms sont toujours là. C'est tout le village tzigane de Bacesti qui s'est transplanté de la Roumanie à Villeneuve-d'Ascq. Ils sont environ 200, répartis sur deux espaces, de part et d'autre d'une route que les petits traversent sans bien regarder. Hier, une voiture a heurté une fillette. "Elle avait du sang sur le visage", glisse Dimitro, 38 ans, qui vient de remplir sa camionnette d'un fatras de métaux dont il espère tirer "50 à 60 euros". Larissa, 8 ans, cheveux noirs en bataille, caracole jambes nues, sans chaussures dans le froid matinal. "J'avais donné des pompes à une gamine, elle les a jetées 300 mètres plus loin. Elle ne les supportait pas !", confie Milan, militant associatif qui vient en aide aux Roms de la métropole depuis trente ans.
Camp de Roms sur l'aire d'accueil tolérée de Villeneuve-d'Ascq Quatre-Cantons. (Xavier Pardessus pour "le Nouvel Observateur") |
De l'autre côté de la rue, un camp interdit
Secret, 23 ans, un fin visage d'Indien, est venu en voisin partager le repas, du mouton caoutchouteux. Pas de chance, lui réside depuis trois ans sur le parking P4, de l'autre côté de la rue, dans sa micro-caravane à l'intérieur tapissé, avec sa femme Caroline, qui attend un bébé, leur fillette de 2 ans et la belle-mère, qui vient d'arriver de l'étranger. "Je répare des ordinateurs. Je voudrais étudier l'informatique à l'université d'à côté", explique ce pentecôtiste dans un mauvais français. Secret a beau réfuter la rumeur d'expulsion, cette partie du camp devrait être levée de force à la mi-octobre.Caroline, qui se prépare à partir mendier, a bien senti le vent tourner. Les habitants en ont soupé de cohabiter. "Avant, tout le monde était gentil. Maintenant, quand je fais la manche, des gens me disent : 'Dégage ! Y a pas de sous pour vous !' Ils en ont marre. Je les comprends : ils sont partout, les Roumains", dit-elle en tirant sur sa cigarette. En quelques heures, la jeune femme grappillera seulement "5 à 10 euros". Elle touche bien les 100 euros d'aide par mois pour la petite, mais, "entre le manger et les couches", ils sont vite consumés.
Dans le camp de Roms sur l'aire d'accueil tolérée de Villeneuve-d'Ascq Quatre-Cantons. (Xavier Pardessus pour "le Nouvel Observateur") |
Un "campus déchetterie"
Les Villeneuvois sont décontenancés par ces mômes hauts comme trois pommes qui prennent le métro tout seuls, tendent la main en suppliant, fouillent parfois les poches. "Les 10-18 ans, eux, sont agressifs, dénonce Delphine, 35 ans, qui travaille au restaurant de la fac. Ils vous collent, vous poussent. Dans certaines stations, il devient impossible de s'acheter des tickets."Depuis son lancement en mars, près de 2.300 étudiants - sur les 20.000 que compte l'université - ont paraphé la pétition "Retrouver une vie saine et sécurisante sur Lille 1", initiée par un étudiant, qui dénonce l'état d'un "campus déchetterie". Castel, accroupi devant sa caravane, fait éclater à coups de marteau des composants d'ordinateur pour récupérer les bobines de cuivre qu'ils renferment. Les Roms vivent de ferrailles récupérées à droite à gauche et du désossage des encombrants.
"On n'a rien, donc on vole !"
Mais, dans les villages qui jouxtent Villeneuve-d'Ascq, on leur impute surtout nombre de menus larcins. Il y a quelques mois, dans un cimetière, des ornements en cuivre ont disparu des vieilles tombes. "Ils ont cassé un pied en bronze du columbarium où repose mon grand-père", raconte Dorik. Pour lui, c'est signé. Michel, retraité villeneuvois, a, lui, fait la une des médias quand sa caravane s'est volatilisée. "Je l'ai retrouvée dans le camp lillois de la porte d'Arras. Une jeune Rom s'est justifiée en disant : 'On n'a rien, donc on vole !'"Dans son quartier du Triolo, à un kilomètre à vol d'oiseau des campements sauvages, la colère gronde entre les petites maisons proprettes, habitées par des foyers modestes. "Il y a eu trente cambriolages entre janvier et mai, dont seize rien qu'en avril, du jamais-vu ! explique Philippe Dourcy, président du conseil de quartier. Dès qu'on quitte sa maison dix minutes, il faut fermer les volets. Deux enfants de 10 et 11 ans ont même été pris en flagrant délit !"
Des affichettes "Individus recherchés", avec des photos floues de deux voleurs présumés, ont même été apposées dans les ruelles. "Wanted" au cœur de la banlieue lilloise ? En août, des habitants d'un quartier voisin ont rossé un Rom bulgare qu'ils soupçonnaient de vol ; il a fini à l'hôpital. "Il n'y avait jamais eu de liste FN aux municipales. Cette fois je pense qu'ils trouveront les 49 personnes pour la composer", pronostique le maire.
Aux Quatre-Cantons, il y a aussi une aire paisible dont les contours sont proprement délimités par des monticules plantés d'arbres : le terrain des gens du voyage, qui disposent de sanitaires et paient pour leur emplacement, le ramassage des ordures et l'électricité. "Vous pouvez manger par terre", dit-on à la mairie. Il y a vingt-cinq ans, c'était un campement sauvage contre lequel tout le monde pestait.
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