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Par Morgane Bertrand
Le comédien et metteur en scène Jean-Pierre Vincent a bien connu Patrice Chéreau, mort le 7 octobre. Il revient sur ce que l'on retiendra de lui.
Au lendemain de la mort de Patrice Chéreau, l'un des maîtres de la scène européenne depuis plus de 40 ans, les hommages se multiplient.
Parmi eux, le metteur en scène et comédien Jean-Pierre Vincent, qui a fait ses armes avec lui au lycée Louis-le-Grand à Paris. Il revient pour "le Nouvel Observateur" sur ce que l’on retiendra de l’immense metteur en scène.
Pascal Greggory en Thésée dans son long manteau rouge ("Phèdre"), le profil blanc d’Isabelle Adjani ("La Reine Margot") ou encore Dominique Blanc devant sa table en bois ("La Douleur") : des tableaux inoubliables. Patrice Chéreau disait souvent qu’il voulait "faire des images"…
- Oui mais pas seulement. Il nous a donné des images uniques, nous avons tous des souvenirs visuels d’exception. Il avait une extraordinaire relecture de l’histoire de l’art, il réinterprétait Goya, les grands peintres de la Renaissance… Mais ces images n’avaient d’importance que dans la mesure où elles charriaient du sens, une réflexion sur l’humanité, sur les conflits, qu’ils soient personnels ou de pouvoir. Il disait qu’il ne savait pas parler de l’actualité dans son travail. Mais il l’a bien fait !
Cette approche picturale lui venait de ses parents peintres…
- Evidemment. Par comparaison, chez moi, l’art était totalement absent. Picasso faisait l’objet de blagues familiales. Lui baignait dans un monde artistique, mais aussi de mots. Il avait connu Roger Planchon tout petit. A 15 ans, il prenait le train pour aller voir un spectacle de Brecht à Berlin. C’est à la fois le miracle d’une personne, et le résultat d’un acharnement intellectuel. Il se construisait et se déconstruisait en permanence. Il avait une énorme capacité d’autocritique. Devant une scène qui nous paraissait à tous formidable, il décidait qu’il fallait tout changer. Cela pouvait ressembler à de l’agitation pure et simple mais non, c’était une inquiétude active.
L'inquiétude de quoi ?
- Il était à la poursuite du sens, de l’utilité qu’on peut avoir à faire cette chose inutile qu’est l’art.
Vous l’avez connu au début des années 1960, au lycée…
- J’ai l’habitude de dire que pendant six ou sept ans, nous sommes restés cul et chemise, en tout bien tout honneur. A cette époque, on a fait notre "auto-école". On bouffait de tout, du ciné, du théâtre, de tout. De la bouffe aussi, Patrice avait un appétit d’ogre !
Ensuite, nous nous sommes vus de façon plus épisodique, jusqu’à qu’il fasse appel à moi pour reprendre le flambeau au théâtre des Amandiers [dont Chéreau a assuré la direction de 1982 à 1990, NDLR]. Il savait que j’étais un demi-cran en dessous de lui mais que comme lui, je continuerais d’apporter un certain niveau. Parce que plus jeune, on a vraiment travaillé comme des fous. Et puis son ombre a continué à planer dans les couloirs du théâtre.
Qu’ont en commun les comédiens passés par l’école Chéreau ?
- Ils sont tous très différents et se sont encore différenciés la vie aidant. Mais tous ont cette culture de l’exigence, de la radicalité émotionnelle qui caractérisait le travail de Patrice Chéreau. Il était porté par un élan vital, qui parfois défiait la mort. Chéreau n’était pas un metteur en scène de comédie, son "Cosy fan Tutte" n’est pas le meilleur de ses spectacles. Il se plaisait au contraire à dire qu’il était né le jour des morts, un 2 novembre.Son travail me fait penser à la gravure de la Mélancolie de Dürer. Au XVIe siècle, la mélancolie était une chose active, qui comprenait de la gaîté, de la joie, qui n’oubliait pas que la mort est vivante.
Propos recueillis par Morgane Bertrand – Le Nouvel Observateur
Parmi eux, le metteur en scène et comédien Jean-Pierre Vincent, qui a fait ses armes avec lui au lycée Louis-le-Grand à Paris. Il revient pour "le Nouvel Observateur" sur ce que l’on retiendra de l’immense metteur en scène.
Pascal Greggory en Thésée dans son long manteau rouge ("Phèdre"), le profil blanc d’Isabelle Adjani ("La Reine Margot") ou encore Dominique Blanc devant sa table en bois ("La Douleur") : des tableaux inoubliables. Patrice Chéreau disait souvent qu’il voulait "faire des images"…
- Oui mais pas seulement. Il nous a donné des images uniques, nous avons tous des souvenirs visuels d’exception. Il avait une extraordinaire relecture de l’histoire de l’art, il réinterprétait Goya, les grands peintres de la Renaissance… Mais ces images n’avaient d’importance que dans la mesure où elles charriaient du sens, une réflexion sur l’humanité, sur les conflits, qu’ils soient personnels ou de pouvoir. Il disait qu’il ne savait pas parler de l’actualité dans son travail. Mais il l’a bien fait !
Cette approche picturale lui venait de ses parents peintres…
- Evidemment. Par comparaison, chez moi, l’art était totalement absent. Picasso faisait l’objet de blagues familiales. Lui baignait dans un monde artistique, mais aussi de mots. Il avait connu Roger Planchon tout petit. A 15 ans, il prenait le train pour aller voir un spectacle de Brecht à Berlin. C’est à la fois le miracle d’une personne, et le résultat d’un acharnement intellectuel. Il se construisait et se déconstruisait en permanence. Il avait une énorme capacité d’autocritique. Devant une scène qui nous paraissait à tous formidable, il décidait qu’il fallait tout changer. Cela pouvait ressembler à de l’agitation pure et simple mais non, c’était une inquiétude active.
L'inquiétude de quoi ?
- Il était à la poursuite du sens, de l’utilité qu’on peut avoir à faire cette chose inutile qu’est l’art.
Vous l’avez connu au début des années 1960, au lycée…
- J’ai l’habitude de dire que pendant six ou sept ans, nous sommes restés cul et chemise, en tout bien tout honneur. A cette époque, on a fait notre "auto-école". On bouffait de tout, du ciné, du théâtre, de tout. De la bouffe aussi, Patrice avait un appétit d’ogre !
Ensuite, nous nous sommes vus de façon plus épisodique, jusqu’à qu’il fasse appel à moi pour reprendre le flambeau au théâtre des Amandiers [dont Chéreau a assuré la direction de 1982 à 1990, NDLR]. Il savait que j’étais un demi-cran en dessous de lui mais que comme lui, je continuerais d’apporter un certain niveau. Parce que plus jeune, on a vraiment travaillé comme des fous. Et puis son ombre a continué à planer dans les couloirs du théâtre.
Qu’ont en commun les comédiens passés par l’école Chéreau ?
- Ils sont tous très différents et se sont encore différenciés la vie aidant. Mais tous ont cette culture de l’exigence, de la radicalité émotionnelle qui caractérisait le travail de Patrice Chéreau. Il était porté par un élan vital, qui parfois défiait la mort. Chéreau n’était pas un metteur en scène de comédie, son "Cosy fan Tutte" n’est pas le meilleur de ses spectacles. Il se plaisait au contraire à dire qu’il était né le jour des morts, un 2 novembre.Son travail me fait penser à la gravure de la Mélancolie de Dürer. Au XVIe siècle, la mélancolie était une chose active, qui comprenait de la gaîté, de la joie, qui n’oubliait pas que la mort est vivante.
Propos recueillis par Morgane Bertrand – Le Nouvel Observateur
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