vrijdag 30 december 2022

Comment devenir un « winner », par Lydie Salvayre / Nouvel Obs

 

Lydie Salvayre, en 2014, année de l’obtention de son prix Goncourt pour « Pas pleurer ». (ERIC DESSONS/JDD/SIPA)
Lydie Salvayre, en 2014, année de l’obtention de son prix Goncourt pour « Pas pleurer ». (ERIC DESSONS/JDD/SIPA)

Dans un essai percutant et drôle, à paraître au Seuil le 6 janvier 2023, la romancière de « Pas pleurer », prix Goncourt 2014, dénonce la course à la réussite et à la renommée. Extraits en avant-première.

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Guy Debord n’a qu’à bien se tenir. Si le dernier grand mousquetaire antisystème pourfendait la société du spectacle dans des livres hantés et désespérés, Lydie Salvayre pousse un coup de gueule contre notre civilisation du succès, à la manière goguenarde des moralistes observant les mœurs à Versailles. Réseaux sociaux, culture de la gagne, se montrer au JT, narcissisme instagramesque, argent-roi, starisation à outrance et vulgarité à tous les étages.

L’auteure de « Pas pleurer » s’en donne à cœur joie, puisant dans les nouvelles mythologies modernes, port de la Rolex obligatoire et dernière Ferrari ardemment désirée. Pour Lydie Salvayre, qui mêle conseils pour se faire mousser et portraits des nouveaux décideurs à la mode, c’est bien une révolution copernicienne qui s’est opérée ces dernières années, par laquelle le succès « fait passer pour intelligent l’individu le plus con, pour séduisant le plus moche, pour aimable le plus ingrat, pour honnête le plus malhonnête et pour immortel le plus piètrement mortel ». Extraits

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• Un cul cosmique

« Le regard velouté, fort mamelue après une intervention chirurgicale à Dubaï (destination tendance), avantageusement nantie d’un derrière houleux dont les dimensions sont inversement proportionnelles à celles de son esprit, elle dispose d’un potentiel érotique hors du commun, sans doute accentué par une moue boudeuse qu’elle cultive à souhait.

S’évertuant à plaquer sur son visage la profondeur qui manque à son cerveau, elle laisse glisser, de ses lèvres refaites, de grandes déclarations fertiles en évidences, ou se lance, avec l’apparence de la plus grande affliction, dans des discours vibrants de sentiments compassionnels et de propositions réconfortantes (concernant les pauvres qui ont faim, les Ouïgours qui ont froid, les Somaliens qui ont chaud, les Sahraouis qui ont soif, les Afghanes qui ont peur, les Ukrainiens qui ont mal… elle en possède un jeu entier) grâce auxquels, pense‐t‐elle, son marché de la compassion gagnera en surface, et son petit capital : en euros.

Elle va jusqu’à défendre le Bien contre le Mal – ce dont nous ne saurions trop l’en féliciter – tout en faisant la publicité du rouge à lèvres repulpant rouge framboise de la marque Fastel. Le sourire qu’elle esquisse alors et qui projette sur son visage une aura d’heureuse niaiserie, constitue une véritable consolation, une exaltante raison d’espérer pour les adolescentes vivant dans des HLM de Créteil, lesquelles représentent son marché porteur. Celles-ci, en effet, depuis qu’elles la suivent sur TikTok et Instagram, ne regardent plus du même œil le hall d’entrée de leur immeuble jonché d’ordures et empestant l’urine, car elles savent désormais que ce hall peut s’ouvrir sur d’exaltantes perspectives. Idolâtre d’elle-même, elle voue une dévotion toute particulière à sa gueule, à ses seins, et par-dessus tout à son cul, qui, comme le rumsteak chez le bœuf, semble constituer à ses yeux le morceau de choix. Son cul incarne pour elle le centre cosmique autour duquel tournent le monde et ses admirateurs et admiratrices. D’ailleurs, elle y a logé son âme, et ne peut évoquer l’une sans faire bouger l’autre. »

• L’homme influent

« Il gère à ce jour une entreprise de 20 000 salariés, et son chiffre d’affaires avoisine les 20 milliards d’euros. Est-il riche d’autre chose que d’argent ?, vous demandez-vous. Voilà une question qui dénote chez vous une tournure d’esprit bien fâcheuse.

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Apprenez, mes rebelles, que ce monsieur est assez riche pour s’acheter un majordome, des domestiques (payés à rien foutre), des amis (à foison), des ministres influents, des journalistes en vue, des conservateurs de musée (devenus conseillers), des hommes d’affaires importants, des maîtresses blondes, une cohorte de flatteurs, quelques intellectuels de renom et quelques artistes. Comme vous.

Il apprécie particulièrement ces derniers qu’il trouve à la fois décoratifs, plus amusants que les patrons du CAC 40, et d’un excellent rapport puisqu’ils le divertissent tout en l’enrichissant.

De ce qui précède, on peut déduire sans risque d’erreur qu’il a le bras long et dispose d’une sphère d’influence considérable. C’est la raison pour laquelle ses concurrents jaloux disent de lui qu’il a de la surface, mais peu de profondeur.

Pour s’en donner (de la profondeur), il fréquente les milieux de l’art et se pique d’être connaisseur et mécène.

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Il a compris qu’en s’entourant d’artistes et d’écrivains il jetait en quelque sorte un voile respectable sur ses agissements financiers que quelques esprits mesquins osent qualifier d’immoraux et même de scélérats. L’art est pour lui, dit-il en poète, sa soupape. L’art, dit-il, est son péché. D’ailleurs, dès qu’il entend le mot artiste, il sort sa bite (mentalement). Ça l’excite, ça le requinque et ça chasse ses soucis d’homme très supérieur. »

• L’attrait pour la nouveauté

« La nouveauté serait-elle médiocrissime, on la préfère de beaucoup à une excellence datée et déjà embaumée. Et gare à qui s’avise d’émettre une réserve à son endroit ! Il sera regardé comme un original qui s’en croit, ou pire, comme un beauf doublé d’un arrogant !

Mais un beau jour, la rumeur se lasse, l’exaltation retombe, et le sortilège s’évanouit. La fièvre du nouveau disparaît aussi vite qu’elle était venue. Trois petits tours et pfuit ! Elle aura duré ce que dure l’amour. C’est peut-être là, me direz-vous, son charme.

[…] Le succès est une came qui doit se consommer sur‐le‐champ. Mais gare aux effets de manque, secondaires à cette addiction, laquelle peut dégénérer en mélancolie !

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Car addiction il y a, mes chers, et son cortège de symptômes : crise d’exaltation intense suivie d’une chute à pic tout au fond de l’abîme, hypertrophie du moi suivie de son effondrement, désir furieux d’exhiber ses e‐nichons puis de rentrer sous terre et de n’en plus bouger, terreur de redevenir anonyme, autant dire mouru.

L’usage de cette drogue nommée succès exige donc que vous ayez une conscience aiguë de la volatilité de ses effets.

Les louanges qui vous avaient portés aux nues peuvent en un instant se muer en disgrâce et en se retournant vous faire tomber de haut. Et vous tuer. »

• Les joies de la compétition

« N’hésitez pas à vous mettre en avant. Le côté m’as-tu‐vu, autrefois réservé aux Méditerranéens des classes pauvres et autres mal élevés, est une qualité qui aujourd’hui s’admire.

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Faites-vous mousser.

[…] N’y allez pas de voix morte. Faites du bruit. Faites du buzz. Faites bzzzz, bzzzz, bzzzz, bzzzz, bzzzz, bzzzz… Imitez le zonzonnement inlassable des mouches qui, selon Blaise Pascal, mangent le corps, parasitent l’esprit et empêchent l’âme d’agir.

Les mouches, aujourd’hui, mes petits, ont gagné la bataille sur le silence sans lequel la pensée, à ce qu’on dit, s’étiole.

Mieux vaut que vous en soyez prévenus si vous voulez retirer quelque avantage de ce nouveau paradigme.

Ne baissez pas la tête, mes taurillons, avancez hardiment toutes cornes dehors. Montrez les crocs, bombez le torse et, sans prolégomènes, mordez, attaquez, envoyez la sauce et agissez ainsi que l’exhorte le grand poète contemporain Maître Gims : Foncez dans l’tas, et mettez les pleins phares. »

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BIO EXPRESS

Née en 1946 dans le Loir-et-Cher, Lydie Salvayre a écrit plus d’une vingtaine d’ouvrages, dont « la Compagnie des spectres », prix Novembre 1997, et « Pas pleurer », prix Goncourt 2014.

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