dinsdag 4 februari 2020

L’art de gâcher sa vie selon Jean-Paul Dubois, prix Goncourt 2019

L’art de gâcher sa vie selon Jean-Paul Dubois, prix Goncourt 2019

Jean-Paul Dubois, prix Goncourt 2019, chez Drouant ce 4 novembre. (ALAIN JOCARD / AFP)

L’auteur d’« Une vie française » a été récompensé pour « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon ». On vous avait bien dit de ne pas passer à côté.

A quoi reconnaît-on un écrivain ? Ça n’a l’air de rien, mais il faut un sacré talent pour parler correctement d’un type amoureux des pneus de sa Chevrolet. Ou des « procédures de vidange » d’une piscine de « 230 000 litres bichonnés au chlore ». Ou des entrailles d’un orgue Hammond B3, « machine infernale » dont le « secret » repose sur une « alchimie entre les pignons, les champs magnétiques et les capteurs ». Ou encore de l’abominable métier qui consiste, dans les compagnies d’assurance, à « évaluer le prix des morts ». Jean-Paul Dubois est un sacré écrivain. Mais pas seulement. Parce qu’il sait qu’il y a « une infinité de façons de gâcher sa vie », il a aussi, comme son protagoniste, l’art d’« écouter crisser les âmes ». C’est donc également un vrai romancier.
Son protagoniste est né à Toulouse, comme lui, mais quand le livre commence, il a déjà très bien gâché sa vie. Paul Hansen est dans la prison de Bordeaux, qui comme son nom l’indique peu se trouve au Canada, en compagnie d’un brave biker qui menace « d’ouvrir en deux » toutes sortes de « fils de pute » et qui, accessoirement, a la phobie des souris. Ce que ce Paul Hansen fait là, on le saura à la fin de sa confession. Mais dans l’intervalle, dans cette cellule où il fait un froid de gueux, on n’a pas une page pour s’ennuyer.

« Notre juste place dans le bordel bourdonnant de la vie »

Les souvenirs remontent à la surface comme des bulles d’air venues des profondeurs, et un demi-siècle d’histoire de l’Occident défile, incarné dans des personnages difficiles à oublier : l’épouse d’un pasteur danois, qui programme tranquillement « Gorge profonde » dans le petit cinéma d’Art et d’Essai qu’elle exploite ; ledit pasteur, qui se met à jouer aux courses comme un damné, « avec ses jumelles en bavoir, sa casquette à six pans, ses informations de première mains ans doute glanées au presbytère, et cette confiance en une louche institution mise depuis longtemps à l’index par tous les Presbitary Conference United de la terre » ; une belle Amérindienne qui pilote un petit avion monomoteur au-dessus de grandes étendues sauvages.
On croise même ici une chienne bouleversante qui savait, d’un regard, « faire comprendre tout un tas de choses que les hommes ont souvent du mal à dire ». Et aussi une belle ordure, « un gommeux », un cost-killer imbibé de tout le « savoir-faire des temps modernes, mélange de familiarité et d’arrogance, de technicité et de mépris ».
Dubois a l’humanité chevillée au cœur, mais ne se fait aucune illusion sur rien. L’auteur d’« Une vie française », de « Kennedy et moi » et de « l’Amérique m’inquiète » est un philosophe capable, à travers mille détails à la fois parfaitement réalistes et totalement insolites, de « nous situer à notre juste place dans le bordel bourdonnant de la vie, à l’égal du mélèze ou du tapir, locataires d’une même cellule, inquiets de l’avenir, s’efforçant tous de croire en la bienveillance des dieux même si notre instinct nous murmurait le contraire. »
C’est certainement pour ça que son cocktail d’humour, d’intelligence et d’émotion, servi très frais avec une élégance faussement désinvolte, est encore une fois si réussi.
Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, par Jean-Paul Dubois, L’Olivier, 256 p., 19 euros.

Jean-Paul Dubois, en chiffres

Né en 1950 à Toulouse, Jean-Paul Dubois, ex-grand reporter au « Nouvel Observateur », a remporté le prix Femina 2004 avec « Une vie française » (205 000 exemplaires). « Tous les hommes... », tiré à 35 000 ex., figurait à la fois dans la sélection « L’Obs »-France Culture et dans celle de l’Académie Goncourt. Il a remporté le prix Goncourt 2019 ce 4 novembre.
LIRE AUSSI > Jean-Paul Dubois : « Je réclame le droit à la paresse, au bonheur et à la dépression »

Geen opmerkingen:

Een reactie posten