zondag 30 maart 2014

Quand Blanchot soutenait Pétain

Place forte des amis de Maurice Blanchot, la revue "Lignes" se penche sur son engagement à l'extrême droite. Et sur ses mensonges.

Affiche de propagande pour la révolution nationale pétainiste, soutenue par Maurice Blanchot. (c) Sipa Affiche de propagande pour la révolution nationale pétainiste, soutenue par Maurice Blanchot. (c) Sipa

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Proche du communisme, féroce opposant à la guerre d'Algérie et acteur des événements de Mai 68, le romancier, critique littéraire et philosophe Maurice Blanchot a aussi été en son temps un fervent partisan de Pétain. Un paradoxe que tente de décrypter aujourd'hui la revue «Lignes», proche de l'auteur, en consacrant un numéro à son engagement à l'extrême droite.
Le Nouvel Observateur Michel Surya, vous dirigez la revue «Lignes» qui, depuis sa fondation en 1987, se revendique de Maurice Blanchot. Aujourd'hui, «Lignes» consacre un numéro spécial à son passage par l'extrême droite...
Michel Surya Maurice Blanchot a toujours activement soutenu «Lignes», qui lui a permis de publier l'intégralité de ses textes politiques d'après-guerre - les textes d'extrême gauche. Il ne s'agit pas de renier cette filiation. Mais celle-ci n'a jamais été un aveuglement. Je me suis intéressé à son engagement d'avant-guerre - d'extrême droite - dès 1987, dans mon livre sur Bataille.
Des études parues avant (Jeffrey Mehlman, en 1981) ou depuis (Christophe Bident, en 1998) ont contribué à établir les faits. Il restait à les penser. Blanchot est mort en 2003, protégé par la dévotion de ses amis. Dévotion compréhensible: l'oeuvre est admirable et son auteur intimidant. Tout était réuni pour qu'on n'aille pas plus loin. Aujourd'hui, le moment est venu.
Qu'y a-t-il dans ce dossier ?
Pour une part, des faits. Les articles de Blanchot dans des journaux maurrassiens, nationalistes, xénophobes, violemment anticommunistes, se comptent par centaines. François Brémondy en fait la synthèse et David Uhrig apporte des précisions inédites sur son soutien à Pétain au moment de sa prise du pouvoir. Ainsi, à «Aux écoutes», dont il est le directeur, Blanchot écrit, dans un éditorial non signé:
Nous ne rappellerons pas à nos lecteurs tous les témoignages que nous avons accumulés durant la période de l'entre-deux-guerres sur la malfaisance, le caractère ignominieux, antifrançais et absurde du système qui nous a conduits au désastre. Nous leur rappellerons seulement qu'à partir de 1938 et notamment après Munich nous avons chaque semaine exprimé les raisons urgentes de refondre totalement notre régime et de faire la révolution nationale. 
Or Blanchot a toujours nié ce soutien. Dans une lettre à son ami Roger Laporte datée de 1983 et publiée il y a peu par Jean-Luc Nancy, il écrivait:
Ma décision fut alors immédiatement prise. C'était le refus. Refus naturellement face à l'occupant, mais refus non moins obstiné à l'égard de Vichy qui représentait à mes yeux ce qu'il y avait de plus dégradant.  
Cette lettre a été pour moi déterminante. C'est à partir d'elle que je m'efforce de penser son rapport au passé, jamais admis, encore moins articulé, où il entre au contraire de la dissimulation, et parfois du mensonge.
Un tel mensonge ne conduit-il pas à relativiser le Blanchot ultérieur?
Je fais l'hypothèse de la dissociation. Mieux que quiconque il a mesuré l'inconséquence de son engagement de jeunesse, mais n'a jamais été capable d'admettre ni de comprendre comment il en était passé par là. Intellectuellement et politiquement, il est regrettable qu'une telle intelligence s'en soit abstenue.
Comment peut-on avoir été à ce point anticommuniste, nationaliste et, furtivement, antisémite, et devenir, à ce point, communiste, internationaliste et philosémite? Il faut d'autant plus lire Blanchot que cette énigme montre combien la «passion politique» peut subordonner «la pensée», et même la pervertir.
D'où vient l'engouement de la gauche intellectuelle pour Blanchot?
C'est un penseur d'une très grande profondeur, difficile, parfois énigmatique. La politique, avec lui, adopte un autre ton. Pas celui de Sartre, pas celui des communistes, ni même celui des surréalistes, dont il était proche pourtant. Ce qui caractérise le plus sa pensée, c'est le «refus».
C'est par ce mot qu'il revient à la politique en 1958, rejoignant Mascolo. Refus à la prise du pouvoir par de Gaulle. Refus de la guerre en Algérie, avec le «manifeste des 121» dont il fut l'un des principaux artisans. «Le refus est absolu, catégorique. Il ne se discute pas, ni ne fait entendre ses raisons», écrit-il. Refus du capitalisme en 1968, où il joua un rôle clé au comité «Ecrivains-Etudiants».
Peut-on le comparer à Heidegger, qui lui aussi a séduit la gauche française malgré son passé nazi?
Oui par son silence, non par son évolution. Il apparaît de plus en plus que Heidegger n'a jamais varié et c'est sa pensée même qu'il faut interroger. Blanchot, lui, a changé: il faut réfléchir à son évolution, sans procès mais sans dissimulation. Son histoire intellectuelle et politique - qui, pour le dire vite, l'a conduit de Maurras à Levinas - est assez représentative d'une histoire intellectuelle et politique française.
Propos recueillis par Eric Aeschimann
«Les Politiques de Maurice Blanchot 1930-1983»,
«Lignes» n°43, mars 2014, 236 p., 22 euros.
MAURICE BLANCHOT (1907-2003) a notamment publié "l'Espace littéraire" (1955), "l'Attente, l'oubli" (1962), "l'Ecriture du désastre" (1980) et "la Communauté inavouable" (1983).

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