maandag 27 april 2020

L’Algérie face à une crise sanitaire et un choc pétrolier : « La situation est catastrophique » / Nouvel Obs

L’Algérie face à une crise sanitaire et un choc pétrolier : « La situation est catastrophique »

Dernier d’une série de chocs brutaux qui ébranlent le pays depuis la précédente décennie, la crise pétrolière actuelle fait peser de grandes craintes sur l’avenir du pays. Explication de l’économiste Raouf Boucekkine.

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A Alger, lors d’une manifestation le 1er novembre dernier. (RYAD KRAMDI / AFP)
Professeur des universités (Aix-Marseille School of Economics) et membre senior honoraire de l’Institut universitaire de France, Raouf Boucekkine revient sur les effets terribles pour l’Algérie de la chute des cours du pétrole qui, mêlée à la crise politique et à la situation sanitaire, fait craindre des conséquences sociales et politiques. Des solutions existent, mais personne ne semble aujourd’hui prêt à les mettre en œuvre. Explications.
Le monde s’inquiète de la baisse du prix du pétrole, notamment pour les pays producteurs déjà en difficulté comme l’Algérie. Que se passe-t-il ?
L’inquiétude est malheureusement justifiée concernant l’Algérie. Certes, le pays n’est pas dans la situation des prix de vente négatifs américains, mais la chute brutale du Brent conjuguée à la récession mondiale, qui ne sera pas moins brutale, va handicaper durablement l’économie algérienne qui reste terriblement dépendante des exportations d’hydrocarbures.
Nous assistons en ce moment à un nouvel épisode de la guerre des prix entre les gros producteurs pétroliers, avec l’Arabie saoudite et la Russie en acteurs principaux cette fois. Ce n’est pas la première fois que les Saoudiens allument la mèche en exploitant leur avantage important en coût extraction, à chaque fois avec des objectifs géostratégiques précis et avec des concurrents ciblés (producteurs américains d’hydrocarbures non conventionnelles, Russie ou autre). Les conséquences ont été à chaque fois fâcheuses pour les marchés pétroliers, et singulièrement pour les économies des « joueurs » secondaires comme l’Algérie. En décembre 2016, la diplomatie algérienne a su trouver les arguments pour éteindre l’incendie et sceller un accord de réduction de production du brut (accord d’Alger).
Visiblement, un tel accord n’a pas été possible cette fois, pour le moment. Avec les conséquences désastreuses que l’on sait sur fond de crise sanitaire majeure et de ralentissement catastrophique de l’activité économique mondiale. De cet épisode, les Algériens retiendront que les Saoudiens sont nettement plus sensibles aux tweets tonitruants de Trump qu’à la souffrance muette de la population algérienne.
Quelles conséquences pour l’Algérie dont toute l’économie repose sur les exportations d’hydrocarbures ?
C’est une situation catastrophique. C’est le dernier d’une longue suite de chocs adverses brutaux qui tirent irrémédiablement le pays vers le bas depuis le début de la décennie précédente. Et le pire, c’est que tous ces chocs sont persistants, ils s’ajoutent (et ne se compensent donc pas) au cours du temps faute de réformes et d’ajustements structurels. Tout d’abord, l’Algérie a subi et subit encore (par simple effet de cliquet) la catastrophique réponse budgétaire du régime algérien au Printemps arabe, qui a fait s’envoler les dépenses de fonctionnement et de transferts (explicites et implicites) à des niveaux ahurissants. On est ainsi passé d’un budget national qui avant 2012, tenait parfaitement la route à des déficits budgétaires qui sont devenus peu à peu insoutenables.
Ensuite, l’économie algérienne a subi le contre-choc pétrolier de 2014, dont les effets sont toujours persistants. Je vous rappelle qu’avant 2014, le prix du baril était au-dessus de 100 dollars. Tout à coup les prix ont été divisés durablement par deux. Les effets de la réponse budgétaire au Printemps arabe et du contre-choc pétrolier s’accumulant, le déficit budgétaire algérien s’est encore creusé à des niveaux jamais vus (près de 15 % du PIB en 2015 par exemple).
Troisième choc de la séquence : le déclenchement du Hirak, le mouvement de contestation né du refus d’un cinquième mandat de Bouteflika début 2019. Un mouvement auquel je suis personnellement très favorable d’un point de vue politique, mais dont on ne peut nier le caractère négatif pour l’économie algérienne, notamment pour les PME, le pays ayant été de fait immobilisé par une crise institutionnelle profonde qui n’est pas encore réglée.
La séquence est terrible, qui s’achève donc avec la crise sanitaire et pétrolière que nous observons en ce moment. Pour vous donner une idée de l’impact de très court terme de la crise actuelle, il faut savoir que la loi de Finances 2020 en Algérie est basée sur une hypothèse de prix du pétrole à 50 dollars et sur des projections des exportations des hydrocarbures. Désormais, le baril de Brent est autour de 20 dollars. Le déficit qui était prévu à 8 % du PIB avec un baril à 50 dollars et une trajectoire d’exportation optimiste peut se creuser à plus de 16 %, comme après 2014. Et l’Algérie ne peut pas avoir recours aussi confortablement aux marchés financiers internationaux que la France, surtout pour financer un système socio-économique aussi structurellement déséquilibré. Alors que l’épidémie semble avoir passé son pic depuis quelques jours, le pays fait donc face à de grandes incertitudes.
Quelles mesures ont été prises ou peuvent être prises ?
Les autorités algériennes font ce qu’elles peuvent face à la crise épidémico-pétrolière actuelle. Elles ont mis en place des mesures d’endiguement pour à la fois gérer les risques de crise humanitaire induits par le Covid-19 et le glissement budgétaire dramatique lié à la crise pétrolière. Sur le volet économique, des objectifs de réduction massifs ont été affichés : -10 milliards de dollars sur les importations, -30 % sur les dépenses de fonctionnement de l’Etat, gel de certains investissements des grands groupes publics…
Mais on voit bien les limites de cette approche d’endiguement : elles ne touchent pas aux dysfonctionnements structurels du système rentier et ne le prétendent même pas. Par exemple, l’objectif de réduire de 30 % le budget de fonctionnement exclut les salaires dont le « gonflement » politique post-Printemps arabe est la raison majeure de la pathologie budgétaire algérienne. Enfin, une telle politique exclusivement « réductionniste » ajoute des risques récessionnistes à ceux, directs, induits par la crise épidémico-pétrolière actuelle.
Bien sûr, les autorités algériennes actuelles ne peuvent pas régler en quelques mois les effets néfastes de quatre chocs adverses forts et persistants accumulés en dix ans. Et encore moins refonder à la hussarde le système socio-économique, faute de légitimité politique suffisante. Mais il faut aller au-delà des mesures d’endiguement. A l’instar de ce que font actuellement les Français, et ce que font systématiquement les Allemands depuis longtemps, l’Algérie doit préserver, et même renforcer en temps de crise, son tissu économique, notamment son secteur privé, ses PME, seule alternative économique au système rentier à terme.
Se pose alors la question du financement de ces mesures de soutien nécessaires. L’Algérie a beaucoup tiré sur la planche à billets depuis l’automne 2017. Ce n’est pas le principe de financement monétaire des déficits publics qui me pose problème, j’y suis favorable sous conditions. Aucun pays au monde n’y échappe en ce moment. C’est évidemment la taille de l’impulsion monétaire et l’utilisation qu’on fait des ressources dégagées qui importent. L’utilisation déraisonnable de la planche à billets depuis 2017 a amené la dette interne algérienne aux alentours de 50 % du PIB actuellement (alors qu’elle était inférieure à 10 % en 2015). Donc la marge de manœuvre s’amenuise du côté du financement monétaire. Dans ces conditions, l’hypothèse de l’endettement extérieur doit être sérieusement envisagée.
Bien sûr, cette solution se heurte à un dogme de la politique algérienne, liant étroitement endettement extérieur et perte de souveraineté, et qui prend racine dans l’histoire économique et politique récente sombre du pays (les années 1990). Naturellement, l’endettement extérieur n’est pas indiqué pour couvrir les dépenses de fonctionnement hypertrophiées du pays, mais il peut être salutaire pour financer un vaste plan de préservation et de modernisation des PME algériennes et tout autre projet d’envergure porteur de richesses et d’emplois futurs.
L’Algérie ne peut pas se permettre d’être en permanence suspendue (et pendue) au prix du Brent. Elle ne peut pas se contenter de surveiller le niveau de ses réserves de change comme le lait sur le feu (actuellement autour de 60 milliards de dollars contre près de 200 milliards avant le contre-choc pétrolier de 2014). Il est plus que temps de sortir de cette logique rentière et de démanteler méthodiquement le système rentier, dans toutes ses dimensions : redistribution des richesses, formation des salaires, système des pensions etc. Mais, vous imaginez bien que si cette évidence n’a pas été suivie des réformes requises depuis de longues années, c’est que le blocage institutionnel et politique est profond. Et depuis février 2019, il y a une vraie question de légitimité politique, qui, je le crains, va prolonger encore l’enlisement.
Sans cela, quels sont les risques ?
Il se pourrait, dans un scénario un peu sombre, qu’une partie du régime cherche à jouer la carte des réserves de change jusqu’à l’épuisement sans faire de réforme, pas même de mesure de sauvegarde pour le système productif. Dans ce cas le risque d’une arrivée en masse et en fanfare du FMI serait grand à court terme. Sans compter les risques sociaux qui sont énormes. Ou de reprise en main du régime. On ne sait pas ce qui peut se passer. Personnellement je n’ai toujours pas compris comment sont prises les décisions ultimes en Algérie. Je n’en dirai pas plus.
Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas de salut pour l’Algérie, mon pays, sans élimination du système rentier. J’ignore le chemin. On pouvait espérer, comme je l’ai cru moi-même, que l’aile réformiste du régime, car elle existe, serait en temps de crise en position d’apporter des inflexions décisives au système en place. Mais, on l’a vu par le passé, l’aile dure rapplique toujours au « bon » moment et écrase tout. Le président Tebboune, élu en décembre, qui est respectable, essaye de donner des signaux de volonté réformiste à l’attention du Hirak et d’enclencher une dynamique de légitimation. Mais ces signaux restent faibles, je crains qu’ils ne suffisent pas.

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