Par Bernard Genies
Ses frasques avaient fini par faire oublier que Dalí est un des grands peintres du XXe siècle. Beaubourg lui consacre dès aujourd'hui un hommage somptueux.
Jeune homme, il s'enflamma pour la révolution bolchevique ; vieillard, il affirma en octobre 1975 que "Franco était un saint" et que l'Espagne allait devenir "un pays où il n'y aura plus de terroristes parce qu'ils vont être liquidés comme des rats". Il ajouta que "la liberté c'est la merde". Habile néanmoins, il revient à ses amours de jeunesse pour étayer sa démonstration : "Lénine l'avait dit : "La liberté ne sert à rien." Difficile d'imaginer qu'un tel orateur ait pu un jour être l'ami des surréalistes...
Salvador Dali en 1953 (Philippe Halsman-Sipa) |
Le maître de la double image
Et pourtant Dalí a mené ainsi sa vie, s'appuyant sur un thème cher à ses premières œuvres, celui de la double image. C'est-à-dire celle d'une représentation qui, attentivement observée, en révèle une autre.Dali fut un pionnier
Dalí avait demandé que ses tableaux soient accrochés sur le pourtour des espaces, laissant un vide complet en leur centre. La requête avait été rejetée.Le maître de la double image
Et pourtant Dalí a mené ainsi sa vie, s'appuyant sur un thème cher à ses premières œuvres, celui de la double image. C'est-à-dire celle d'une représentation qui, attentivement observée, en révèle une autre. Sa dernière rétrospective en France remonte à 1979, gigantesque "Kermesse héroïque" (titre de l'installation géante qu'il présenta dans le forum du Centre Pompidou), dont il fut le héros maltraité (grève du personnel ndl)Dali fut un pionnier
Dalí avait demandé que ses tableaux soient accrochés sur le pourtour des espaces, laissant un vide complet en leur centre. La requête avait été rejetée.Autre différence, alors que l'exposition de 1979 s'attardait surtout sur la dernière période de l'artiste, la version 2012 se veut nettement plus étendue, depuis les œuvres de jeunesse jusqu'à son dernier tableau, "la Queue d'aronde", peint en 1983. Un accrochage qui permet de saisir en quoi Dalí fut un grand peintre. En quoi aussi, il fut un pionnier dont les artistes d'aujourd'hui (Wim Delvoye, Matthew Barney, Damien Hirst, Takashi Murakami et jusqu'à l'architecte Zaha Hadid) se sont amplement inspirés.
Fasciné par "la machine Picasso"
(...)Jeune homme, il fait ses gammes en piochant du côté des impressionnistes, postimpressionnistes et fauves. Vers 1921, il s'inspire de Raphaël pour signer un autoportrait. Puis il revisite le cubisme (avec notamment cet "Autoportrait cubiste", de 1923), musarde du côté de la Nouvelle Objectivité (en témoignent ici les portraits de son père, de sa sœur et de Luis Buñuel). Fan de cinéma, il signe en 1926, "Départ. "Hommage aux actualités Fox"", composition aux entrées multiples, clin d'œil au Douanier Rousseau dans lequel il se représente lui-même sous les traits d'un enfant en costume de marin assis sur les genoux d'une Vénus. Dalí apprend vite, très vite. Il regarde Míro, il regarde Chirico, il regarde Tanguy. Et Picasso bien sûr. Quand il se rend à Paris en 1926, sa première visite sera pour lui, avant même d'aller au Louvre (flatté, Picasso lui dira : "Vous avez bien fait").Une femme admire "Le Grand Masturbateur" (1929), de Salvador Dalí, au Centre Pompidou, à Paris. Ce tableau du peintre catalan habituellement exposé au Reina Sofía, à Madrid, a rejoint près de 200 autres de ses œuvres à Paris pour une grande rétrospective s'ouvrant le 21 novembre. Aperçu en images. (Annie Viannet/Maxppp) |
En 1929, il signe un dessin ravageur, "Parfois je crache par plaisir sur le portrait de ma mère", provoquant l'ire de sa famille. La même année, il peint "le Grand Masturbateur", œuvre phare où les symboles et pulsions érotiques (on y voit entre autres le visage d'une femme s'apprêtant à faire une fellation à un homme dont la tête demeure invisible) côtoient les évocations de la mort et de la dévoration. Dans ce tableau-rébus, le regard ne cesse d'être sollicité, vagabondant entre la figure d'un lion dardant une langue phallique, cependant qu'au premier plan, un minuscule couple enlacé évoque les parents du peintre. S'agit-il d'un rêve ? La dimension onirique est celle qui caractérise le plus fortement les œuvres de cette période dite "spectrale". Corps étirés, têtes coupées ou volumes flottant dans l'espace, sexes d'hommes et de femmes, rochers géants aux formes anthropomorphes rappelant ceux des rivages de son enfance : le monde selon Dalí est un monde flottant, érotique, menaçant, macabre.
Durant cette période dorée, il est un véritable peintre de chevalet, précis, minutieux. Comme ses modèles de la Renaissance, il peint des miniatures (la plus célèbre étant : "la Persistance de la mémoire", petit rectangle de 24 centimètres sur 33). Il peint sur bois, sur contreplaqué, sur toile. Parfois, il utilise des matériaux comme le sable (comme pour "l'Ane pourri", en 1928).
"La persistance de la mémoire" (1931), tableau aussi connu sous le nom de "Montres molles". (PMG/SIPA) |
Freud, Lacan, Buñuel, Walt Disney, Hitchcock...
Il est aussi un grand lecteur. Sa découverte des écrits de Freud puis de ceux du jeune Jacques Lacan, en 1932, oriente son travail vers des modes de représentation complexes qui l'amèneront à élaborer sa théorie de la "paranoïa critique", méthode qui, brièvement résumée, consiste à interpréter le réel à partir d'une perception psychique. Pionnier, il le fut encore dans la manière dont il s'est mis en scène. Dalí est sorti du tableau pour descendre dans la rue - ou sortir du métro en tenant un tamanoir en laisse !Artiste total travaillant pour le cinéma (avec Luis Buñuel, Walt Disney, Alfred Hitchcock), réalisant des décors pour la danse et le théâtre. On lui doit aussi d'avoir porté à son paroxysme, pour le meilleur comme pour le pire, l'art de la performance. Ce boulimique de la création fut tout autant un peintre infatigable qu'un clown invétéré. Et les audaces de ses suiveurs paraissent aujourd'hui bien pâles au regard de ses délires orchestrés.
Décidément, Dalí n'est pas mort.
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