maandag 5 augustus 2019

Léonard de Vinci, autopsie d’un génie / Nouvel Obs

Léonard de Vinci, autopsie d’un génie

Le peintre italien Léonard de Vinci, mort à Amboise le 2 mai 1519, à l’âge de 67 ans. (DOMINGIE & RABATTI/LA COLLECTION)

Il y a cinq cents ans mourait l’artiste italien. En 1863, un squelette a été exhumé au château d’Amboise. S’agit-il de celui du peintre de « la Joconde » ? Enquête.

Trop belle, l’image ! François Ier est au chevet de Léonard de Vinci, dans la chambre de l’artiste au château du Clos-Lucé, tout près du château d’Amboise. Dernier jour sur terre : ce 2 mai 1519, le génie de la Renaissance, miné par une maladie qui l’affaiblit depuis des mois, est aux portes de la mort. Sa tête, rejetée en arrière, prend appui sur des oreillers immaculés que l’on devine moelleux. La main du souverain soutient le crâne du moribond, coiffé d’un petit bonnet noir. Son visage est envahi par une longue barbe blanche. Le roi est là, tout va bien. A gauche du lit, un prêtre agenouillé récite des prières non loin d’un guéridon où l’on distingue un crucifix et un livre ouvert qui pourrait être une Bible. La présence d’un cardinal, au premier plan, rassure tout autant. Léonard va quitter le monde en bon chrétien.
La une de « l’Obs », du 1er au 7 août 2019.
La une de « l’Obs », du 1er au 7 août 2019.
Ingres, l’auteur de ce tableau réalisé en 1818, a pris quelques libertés avec la réalité. Pour peindre François Ier, il s’est inspiré du portrait qu’avait peint Titien en 1539. Et pour Léonard ? On ignore sur quelle image le peintre français s’est appuyé. Quant à la scène elle-même, elle doit sa réalité picturale au récit que l’architecte, peintre et écrivain Giorgio Vasari livra au milieu du XVIe siècle dans ses célèbres « Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes ». On peut y lire :
« Vint un spasme avant-coureur de la mort ; le roi se dressa, lui prit la tête pour le soutenir et lui manifester sa tendresse en soulageant sa souffrance. Comprenant qu’il ne pouvait recevoir plus grand honneur, cet être d’essence divine expira entre les bras du roi. »Dans le tableau d’Ingres, le génial peintre de la Renaissance n’est qu’un personnage secondaire : c’est François Ier qui est le vrai sujet. Et pour cause : comme le fait observer Gennaro Toscano, conseiller scientifique de l’exposition « 1519, La mort de Léonard » actuellement présentée au château d’Amboise (1), Ingres « peint ce tableau au moment de la Seconde Restauration. Il s’agit de donner l’image d’un roi chrétien, mécène des arts et capable d’empathie ». En ce début de XIXe siècle, la gloire de Léonard est loin d’être celle d’aujourd’hui.

Un tombeau oublié

Peu avant sa mort, le 23 avril 1518, l’artiste italien dicte son testament à un notaire d’Amboise. Il recense avec un luxe de détails l’organisation de ses funérailles : il demande notamment que « trois grandes messes avec diacre et sous-diacre » ainsi que « trente basses messes » soient célébrées dans la collégiale Saint-Florentin, au pied du château d’Amboise. Il exprime aussi le vœu d’y être enseveli. Les décennies passent, l’édifice tombe en ruine. Et le tombeau de Léonard est oublié.
Fake news ? « François Ier reçoit les derniers soupirs de Léonard de Vinci », Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1818. (PHOTO JOSSE/LEEMAGE/AFP)
Fake news ? « François Ier reçoit les derniers soupirs de Léonard de Vinci », Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1818. (PHOTO JOSSE/LEEMAGE/AFP)
Il faut attendre 1863 pour qu’un inspecteur général des Beaux-Arts, Arsène Houssaye, entreprenne des fouilles sur ce site. Le 20 août, il met au jour divers objets (des pièces de monnaie – dont un écu d’argent à l’effigie de François Ier – des fragments de sandale, une sébile, un vase à charbon) mais aussi… des ossements.
Les restes de Vinci ? Plusieurs indices le laissent à penser. Le squelette mesure, indique le rapport de fouilles, « cinq pieds cinq pouces », soit sa taille supposée ; on recueille des « cheveux ou de la barbe couleur blanche jaunie et quelques débris de laine brune » ; selon plusieurs médecins, le crâne correspond bien à « la tête d’un septuagénaire » (Vinci est mort à 67 ans). Il est ainsi observé que « huit dents sont encore aux mâchoires, quatre en haut, quatre en bas ». Enfin, à proximité du tombeau, des fragments de pierre ont été mis au jour sur lesquels on a pu lire les lettres : … EO… DUS… VIN… La tentation est forte de compléter l’inscription : LEONARDUS VINCIUS. Ces pierres ont été égarées, mais on dispose des gravures qui furent réalisées au moment de la découverte du tombeau.

Etrange position du bras

Une particularité intrigue cependant : le bras droit du squelette est replié vers le haut, la main venant se placer sous le crâne, « dans cette position que l’on ne donne jamais aux morts, et qui semble familière à un penseur fatigué par l’étude ». Or on sait qu’à la fin de sa vie, l’artiste (ambidextre) avait le bras droit paralysé. Les raisons de cette infirmité sont inconnues. Jean-Louis Sureau, directeur du château royal d’Amboise, estime que l’artiste a peut-être été victime d’un ou deux AVC. D’autres supposent qu’une tumeur cérébrale pourrait être à l’origine de cette infirmité. Quoi qu’il en soit, si ce bras était paralysé, il aurait dû pendre le long du corps. Pourquoi et comment s’est-il retrouvé dans l’étrange position ?
Des doutes subsistent, donc. Pour les lever, il faudrait pouvoir soumettre ces reliques à des analyses scientifiques – une recherche d’ADN entre autres. Les ossements sont toujours à Amboise : en 1874, protégés par une boîte de plomb, ils ont été enfouis sous une dalle de la chapelle Saint-Hubert, dans le parc. Mais le château d’Amboise est une propriété privée (il appartient à la fondation Saint-Louis) et il est classé monument historique. Pour mener à bien ces investigations, un double accord est nécessaire : celui du propriétaire et celui de l’Etat. Or, à ce jour, et malgré certaines rumeurs faisant état d’études à venir, « nous n’avons reçu aucune demande », affirme Jean-Louis Sureau.
La fin d’une époque ?
La mort du peintre de « la Joconde » marque-t-elle la fin d’une époque ? La Renaissance n’est pas morte avec lui. Parmi ses contemporains, Raphaël (qui meurt à 37 ans en 1520) et Michel-Ange (1475-1564) se sont imposés bien plus que lui dans les sphères politique, religieuse et artistique de leur temps. Génial, Léonard n’en était pas moins réputé peu fiable, puisque laissant tomber en cours de route les commandes qui lui étaient passées. Une situation confirmée par Giorgio Vasari dans « Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes » au XVIe siècle : « On voit fort bien que Lionardo [prénom de baptême de l’artiste, NDLR] par intelligence de son art, commença bien des choses et n’en finit aucune. »
La disparition de l’artiste italien ne provoqua aucune onde de choc. Il eut droit à des funérailles discrètes, contrairement à celles, somptueuses, qui furent organisées pour Raphaël à Rome. Les peintres eux-mêmes mirent un certain temps à manifester leur enthousiasme pour son œuvre. Et pendant longtemps, ce n’était pas « la Joconde » qui attirait les regards, mais « la Belle Ferronnière ». Explication du conseiller scientifique de la BnF Gennaro Toscano : « Certains prétendaient, à tort, qu’il s’agissait d’une maîtresse de François Ier. » Pour que le sourire de Mona Lisa prenne le dessus, il faudra attendre 1911 et l’émoi causé par le vol du tableau dans les salles du Louvre.
B. G.
Reste un détail à noter, concernant le tableau d’Ingres. En représentant le même François Ier au chevet de Léonard de Vinci, il a fabriqué une fausse information : le 2 mai 1519, le souverain se trouvait à Saint-Germain-en-Laye.

 

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