Née en Iran, l'auteur de "Bas les voiles !" dit avoir pris pour amants le Robert et le Grevisse. Rencontre
CHAHDORTT DJAVANN, née en 1967 en Iran, est
arrivée en France en 1993. Romancière et essayiste de langue française,
elle est l'auteur de "Bas les voiles !" (2003), "la Muette" (2008), "Je
ne suis pas celle que je suis" (2011). (©DR Ed. Fayard)
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«Bas les voiles !», un essai publié en 2003, l'a rendue subitement célèbre et lui a valu les appels du pied des politiques de gauche comme de droite. Mais, dit-elle, «le monde réel n'est pas pour moi. Les gens se demandaient: pourquoi ne veut-elle pas avoir un poste? Moi, je savais pourquoi... Parce que la réalité, ce serait qu'un beau matin je prendrais un flingue et je buterais tout le monde. Et peut-être moi après...»
Elle n'a pas accepté de poste, elle a continué à écrire, à rester en marge de cette réalité insupportable pour elle et à vivre «une vie de recluse» avec pour amants le Robert, le Grevisse et le Bescherelle. Car la langue française, qu'elle a apprivoisée toute seule dans sa chambre de bonne, est devenue sa patrie:
Mon écriture ne pouvait prendre corps que dans la langue française. Il m'est impossible, je dis bien impossible de pouvoir me dire entièrement en persan. Le persan m'est devenu une langue étrangère : je n'appartiens plus au persan et le persan ne m'appartient plus. Et je dirais qu'aujourd'hui soit je n'ai plus de langue maternelle, soit j'ai une langue maternelle dans laquelle j'ai un accent étranger, qui est le français.»
«Eh bien, le français a de la chance», pouvons-nous dire à l'instar du psy de «la Dernière Séance».« Mon histoire n'est pas racontable »
Ce roman est le second volet de l'histoire de Donya (commencée dans «Je ne suis pas celle que je suis»), une héroïne forte et fragile dont le destin emprunte beaucoup à celui de Chahdortt Djavann, même si elle se défend de faire oeuvre autobiographique:Ce n'est pas mon histoire, parce que mon histoire n'est pas racontable. Je lui ai donné le prénom de Donya, qui signifie en arabe et en persan "l'univers": un être humain est aussi insaisissable que l'univers.»
Pourtant, les similitudes de dates, d'événements sont troublantes et la frontière entre l'auteur et son personnage pas si nette que cela... Construit en courts chapitres, le roman est, en alternance, le récit de sa fuite d'Iran, de son séjour à Istanbul puis de sa vie à Paris, où elle débarque en 1993, et le compte rendu des séances de la psychanalyse entreprise peu après son arrivée.Moi, j'ai fait une psychanalyse en français, et cette jeune femme qui a débarqué en France il y a exactement vingt ans est tellement loin de moi aujourd'hui... C'est pour cela que j'ai pu écrire ce roman, j'ai l'impression de raconter l'histoire d'un autre. D'une autre ! J'ai toujours voulu être un garçon...»
« Le psy se tape la rousse... »
Donner au lecteur accès à ce que peut être une psychanalyse est une des gageures - réussie - du livre.J'ai écrit d'abord le récit picaresque et puis j'ai écrit les séances de psychanalyse dans un désordre pas possible - comme d'ailleurs se déroule une psychanalyse ! J'ai travaillé et retravaillé à l'infini chaque séance pour que ça devienne de la littérature, pour garder une sorte d'oralité et pour faire sentir la présence du psychanalyste.»
Ce psychanalyste, dont les « ouiii... » rythment les séances, est lui-même empêtré dans une aventure sentimentale avec une femme mariée :Pendant que Donya se tape le Robert dans sa chambre de bonne, le psy se tape la rousse... Elle s'empare du Robert, mais la rousse le largue...»
De la supériorité du dictionnaire le Robert? Tout se résume-t-il à une affaire de langue?La langue n'est pas seulement des mots. Tout habite dans la langue. On ne pense pas, on ne raisonne pas, on ne vit pas, on ne respire pas de la même façon en persan qu'en français.»
Beaucoup de gens disent écrire par amour de la littérature. Pour l'amour de la littérature, moi je lis. L'écriture pour moi est l'ultime fuite.»
Fuir semble bien aussi le maître mot de Donya, l'héroïne incandescente de cette «Dernière Séance», un roman tellement bien construit qu'il se laisse difficilement refermer. Car l'art de Chahdortt Djavann est aussi celui de la conteuse et d'aventures en rebondissements, le lecteur est tenu en haleine. Jusqu'à la fin... que nous ne dévoilerons pas.
Sylvie Prioul
La Dernière Séance, par Chahdortt Djavann, Fayard, 490 p., 22 euros.
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