Par Jean-Louis Ezine
La "Recherche" déclinée par Jean-Paul et Raphaël Enthoven en 324 thèmes: c'est le prix Femina de l'essai 2013.
JEAN-PAUL ENTHOVEN, né en 1949, est éditeur
chez Grasset, critique littéraire au "Point", auteur des "Enfants de
Saturne".
Son fils, RAPHAEL ENTHOVEN, né en 1975, est professeur de philosophie,
producteur à France-Culture, auteur du "Philosophe de service". Quelques
semaines après sa sortie, le premier tirage de 14.000 exemplaires du
"Dictionnaire" est déjà épuisé. (©DR)
«Oubliez un peu Proust», suppliait il y a peu le maître en personne de la proustologie, Jean-Yves Tadié.
Ah, monsieur le professeur, mais c'est qu'on ne peut pas ! Un artiste
conceptuel s'y est essayé: chaque jour, avec le côté bleu de sa gomme,
il a effacé une page de la «Recherche». Et pour quel résultat? L'espèce
de sciure ainsi récoltée s'expose dans des galeries d'avant-garde comme
la poussière du temps perdu.Voilà à quoi mène la proustolâtrie, et on ne compte plus les manifestations cliniques de cette religion fatale, telle qu'y conduit depuis un siècle le culte de Marcel, détaillé avec autant d'humour circonspect que de gravité suave dans ses rites, ses temples et sa liturgie tout au long du «Dictionnaire amoureux» que lui consacrent les Enthoven père et fils.
Au reste, si les auteurs s'amusent de cette sorte de sorcellerie ou de vaudou intellectuel, on devine qu'ils en savourent trop les motifs pour paraître se gausser. Entre proustiens, on s'affectionne. On sait bien que tout ça se joue au deuxième degré, là où la vulgarité du monde n'atteint pas. Proust est un fournisseur de joie aux chercheurs de toute espèce.
Alphabétique, mais à peine raisonné
Il ne manquait plus que d'en établir le catalogue. Alphabétique, mais à peine raisonné, l'ouvrage traîne après lui une gaieté sans mélange, de A (comme «asperge», il va sans dire, cette façon de verge végétale servie à tout propos à la table du Narrateur) à Z (comme «Zidane», dont le coupable coup de tête en mondiovision lors d'un tournoi de football aurait été inspiré par un épisode de la «Recherche»).On voit par là que Mme Verdurin va devoir encore se tenir sévèrement les côtes, elle qui n'a pas son pareil pour dissimuler ses fous rires, «comme un enfant qui joue à cache-cache». Mais, comme le disait Queneau, qui classait Proust juste après la Bible, il n'y a pas que la rigolade dans la vie.
On se réjouit donc de constater que Schopenhauer, Spinoza et même Plotin, encore qu'il ne soit cité qu'une seule fois dans la «Recherche», ont leurs entrées dans ce monument d'érudition, tout comme la métempsycose, la procrastination, le palimpseste et, bien entendu, l'insomnie. Laquelle menace les curieux que cette plaisante encyclopédie va jeter sur les routes proustiennes. Mais il paraît que l'insomnie est un bienfait, c'est Marcel qui l'a dit.
Jean-Louis Ezine
Dictionnaire amoureux de Marcel Proust, par Jean-Paul et Raphaël Enthoven,
Plon et Grasset, 730 p., 24,50 euros.
Plon et Grasset, 730 p., 24,50 euros.
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