Publié le 12-11-2013
Par Donald Hebert
Interview.
Il y a six mois, les Européens avaient décidé de mobiliser une panoplie de moyens très ciblés pour venir au secours des quelque 6 millions de jeunes Européens au chômage. Parmi eux, une enveloppe de 6 milliards d'euro mobilisés dans une "initiative pour la jeunesse" en faveur des régions les plus frappées par le chômage des jeunes dans 13 pays. ODD ANDERSEN / AFP
Le taux de chômage des jeunes est de 23,5% en Europe et il atteint plus de 50% en Espagne et en Grèce. Comment expliquer cela ?
- Les jeunes sont toujours les premières victimes des crises économiques. Avec la récession, un certain nombre de personnes perdent leur emploi, et tant que l'activité ne repart pas, la file d'attente s'allonge. Or, les jeunes n'ont, par défaut, pas d'emploi. Et ils sont au bout de cette file d'attente, car les entreprises préfèrent embaucher des personnes qualifiées, qui ont déjà eu un emploi, surtout en période de crise.
Il est vrai que nous n'avions pas connu une crise d'une telle ampleur depuis les années 30. La crise financière liée aux subprimes a provoqué une récession. On estime que le PIB de la zone euro aurait été de 5% supérieur s'il n'y avait pas eu cette crise. Cela a provoqué mécaniquement des destructions d'emplois jusqu'en 2010. Ensuite, en 2011, alors que l'activité repartait, l'Europe a commencé une politique d'austérité, qui consiste à réduire les déficits publics rapidement. Cela a également participé à retarder la reprise, et donc la création d'emplois, notamment pour les jeunes.
Pourquoi certains pays ont des taux de chômage beaucoup plus faibles ?
- Au Royaume-Uni ou en Allemagne, le marché du travail est plus flexible, c'est-à-dire que la législation est moins protectrice. Ainsi, il y a plus de rotation : les personnes perdent plus facilement leur emploi, mais en retrouvent aussi plus facilement, car les entreprises sont moins réticentes à embaucher. Ces conditions sont plus favorables à l'entrée des jeunes sur le marché du travail. En France, la file d'attente est plus longue. D'autre part, la France a une démographie plus vigoureuse, notamment par rapport à l'Allemagne. Résultat, il y a entre 150.000 et 200.000 personnes qui entrent sur le marché du travail chaque année. Pour réduire le chômage, il faut donc créer plus de 200.000 emplois en France, ce qui suppose une croissance de plus de 1,5%, alors qu'en Allemagne, moins de 1% de croissance suffit. De plus, à la différence des années 90, nous sommes revenus sur les dispositifs de départs à la retraite anticipés, qui permettaient de laisser de la place aux jeunes, mais qui étaient très critiqués.
Les défenseurs de la politique de rigueur européenne expliquent qu'elle occasionne une baisse de croissance à court terme, mais augmente le potentiel de croissance à moyen terme. Et donc une baisse du chômage ?
- Le problème, c'est que les politiques de rigueur budgétaire sont très efficaces en période de croissance, mais pas en période de difficultés. Chaque année, on met en place une politique de réduction des déficits (hausses des impôts et baisse des dépenses, NDLR), et on est déçu.
Mais faut-il s'attendre à une meilleure situation à moyen terme ?
- Le problème, c'est que l'on ne voit pas bien quand cela va s'arrêter. La France vient de revoir à la hausse sa prévision de déficit pour 2013, parce que l'effort budgétaire pénalise la croissance, et donc les rentrées de recettes fiscales. Cela devait durer quelques années, et finalement on est partie pour de nombreuses années. Je pense que l'on aurait dû attendre que la croissance revienne pour réduire ces déficits.
A l'époque, les marchés financiers ont attaqué la Grèce en estimant qu'elle était trop endettée et ne pourrait pas rembourser. En repoussant cette politique, ne risquait-on pas une attaque des marchés financiers ailleurs, avec un renchérissement des coûts de financement des Etats qui en découle, et donc un problème pour la croissance également ?
- C'était un risque en effet, et cela se serait produit si la Banque centrale européenne n'était pas intervenue. Mais elle s'est donnée les moyens de prêter aux Etats qui en ont besoin en dernier ressort. De plus, des mécanismes de solidarité ont été mis en œuvre.
La réduction des déficits publics n'était pas une exigence de la Banque centrale européenne en échange de son intervention ?
- On aurait très bien pu réclamer des réformes structurelles et une réduction des déficits plus étalée dans le temps, sur dix ans au lieu de cinq. Et en conformité avec les traités européens, qui ne demandent qu'un effort budgétaire de 0,5% du PIB par an en cas de déficit excessif. Si on s'en était contenté, on aurait une croissance de 2% aujourd'hui. Et le chômage serait en baisse. Le rythme que nous avons choisi est un excès de zèle.
N'est-ce pas un moyen d'en venir plus rapidement à une période de croissance durable, permettant aussi de créer des emplois ?
- Le problème, c'est qu'avec une crise de cette ampleur, on risque de détruire définitivement une partie du tissu productif. Les entreprises font faillites. On détruit donc du capital, et on met des personnes au chômage pendant trop longtemps. Cela complique le retour sur le marché du travail.
Faut-il en conclure que la jeune génération est sacrifiée ?
- Les études indiquent qu'au cours des précédentes crises, les jeunes ont fini par s'insérer sur le marché du travail, même s'ils ont perdu du temps. Mais cette fois la crise dure beaucoup plus longtemps. Les jeunes risquent d'avoir perdu les acquis de leurs études. Il y a un risque de génération perdue.
Quels sont les remèdes ?
- Il faut d'abord changer la politique macro-économique en ralentissant le rythme de réduction des déficits publics. Et en attendant que la croissance reparte, il faut mener une politique de l'emploi visant à augmenter l'employabilité des jeunes, pour qu'ils trouvent du travail quand la croissance repartira. Les emplois aidés dans les secteurs marchands ne fonctionnent pas bien en période de crise, en visant les 16-25 ans, on risque de pénaliser les 25-30 ans. Mais ils sont efficaces dans le secteur non-marchand (associations, administration). On peut également former les jeunes. Mais cela ne reste que des mécanismes d'amortissement.
Que pensez-vous des initiatives à l'échelle européenne, comme le fait de garantir à tout jeune européen une offre d'embauche dans les quatre mois ?
- Je n'y crois pas trop. Ces dispositifs coûtent cher. Et les montants mis sur la table ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux.
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