Pour
Dagen, la notion plurielle des primitivismes naît d’un rapprochement
des perceptions du monde. (Jacques Floret pour "L'Obs")
En 1984, William Rubin présente au MoMa
(Museum of Modern Art) de New York « Primitivisme », une exposition qui
rassemble deux cent cinquante objets d’art africains, océaniens,
amérindiens et cent cinquante œuvres d’art contemporaines signées
Picasso, Matisse, Giacometti. Première évocation du genre, cet événement
ambitionne de montrer les rapports que les créateurs européens ont
entretenus avec les arts africains et océaniens. Une réévaluation des
arts extra-européens ? Une relecture ?
Comme le rappelle Philippe Dagen, la notion du primitivisme se constitue au XIXe siècle : dans le domaine de l’expression artistique, elle définit à la fois un au-delà (au-delà dans le temps depuis la préhistoire, au-delà géographique) et un mode d’expression qui ignore les valeurs académiques. L’art primitif est réputé grossier, il n’est qu’une ébauche ; il s’oppose aux modèles élaborés de la représentation de la nature et de l’être humain.
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Pour les artistes, ce cheminement vers cet ailleurs est indissociable du colonialisme. La conquête des territoires, l’asservissement des peuples, la destruction de leurs cultures s’accompagnent du pillage des ressources, les objets d’art inclus. Le tout suscitant des convoitises commerciales. A Londres, dès 1806, la collection réunie par Ashton Lever (à partir notamment d’objets collectés lors des expéditions de James Cook) et mise en vente comporte pas moins de 7 800 lots.
Cette curiosité pour les créations « exotiques » va connaître un développement croissant dans les milieux artistiques jusqu’à devenir un véritable phénomène à la fin du XIXe siècle et au début du XXe .
Kandinsky, l’un de ses chefs de file, affirme que « les bronzes du Bénin, le manteau de chef d’Alaska, le masque de bois de la Nouvelle-Calédonie parlent la même langue que les chimères de Notre-Dame ». Déjà, le regard a changé. Il n’est plus question de civilisation supérieure et d’une autre qui serait attardée. Pour Kandinsky, l’art est avant tout spirituel. Il a donc vocation à exprimer l’essence de l’être. Une vision que certains anthropologues partagent à demi-mot, le Britannique Edward Tylor évoquant en 1871 une société humaine où « vous ne verrez pas différer d’un cheveu le laboureur anglais et un Nègre d’Afrique centrale ».
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Pour Dagen, la notion plurielle des primitivismes naît donc d’un rapprochement des perceptions du monde. L’exemple le plus pertinent est à cet égard celui de Paul Gauguin. Devenu peintre, l’ancien agent de change va chercher en Bretagne « le sauvage » puis prend le chemin de Tahiti. Ce « retour aux sources » n’est pas sans difficultés ni ambiguïtés. Mais, comme le rappelle Philippe Dagen, ce parcours-là (ainsi que celui d’autres artistes comme Nolde, Pechstein et celui d’écrivains comme Mel-ville, Hesse évoqués ici) a contribué à forger dès la fin du XIXe siècle l’idée d’un primitivisme incarné, et non plus fantasmé. C’est un premier pas, mais un premier pas seulement.
En guise de conclusion (provisoire), on se souviendra de cette boutade de Picasso :
Dans son dernier ouvrage, l’historien de l’art Philippe Dagen met en lumière les cheminements ayant déterminé cette révolution du regard, qui influença de façon déterminante Gauguin, Kandinsky, Picasso…
Comme le rappelle Philippe Dagen, la notion du primitivisme se constitue au XIXe siècle : dans le domaine de l’expression artistique, elle définit à la fois un au-delà (au-delà dans le temps depuis la préhistoire, au-delà géographique) et un mode d’expression qui ignore les valeurs académiques. L’art primitif est réputé grossier, il n’est qu’une ébauche ; il s’oppose aux modèles élaborés de la représentation de la nature et de l’être humain.
LIRE AUSSI > Picabia, Degas, Gauguin... la ruée vers l’art des écrivains
Pour les artistes, ce cheminement vers cet ailleurs est indissociable du colonialisme. La conquête des territoires, l’asservissement des peuples, la destruction de leurs cultures s’accompagnent du pillage des ressources, les objets d’art inclus. Le tout suscitant des convoitises commerciales. A Londres, dès 1806, la collection réunie par Ashton Lever (à partir notamment d’objets collectés lors des expéditions de James Cook) et mise en vente comporte pas moins de 7 800 lots.
Cette curiosité pour les créations « exotiques » va connaître un développement croissant dans les milieux artistiques jusqu’à devenir un véritable phénomène à la fin du XIXe siècle et au début du XXe .
Rejet de la société industrielle et de ses modes de vie
La raison de cet engouement ? Pour Dagen, l’élément moteur de ce mouvement est lié au rejet de la société industrielle et des modes de vie qu’elle induit : on ne parle pas encore de pollution, mais des écrivains comme D. H. Lawrence décrivent le massacre des paysages par les industries minières dans son Angleterre natale, dénonçant « l’écrasante oppression des doctrines matérialistes » . Le retour à la nature s’impose, source d’une « vérité », d’une authenticité que seuls les peuples lointains sont supposés détenir. Le deuxième élément relève d’une affaire interne au monde de l’art européen : la « révolution » de l’impressionnisme (la première exposition se tient en 1874) a fait long feu. Même s’il a ouvert des voies, il est devenu lui aussi carcan. En Allemagne, les membres du groupe Der Blaue Reiter veulent explorer d’autres horizons.Kandinsky, l’un de ses chefs de file, affirme que « les bronzes du Bénin, le manteau de chef d’Alaska, le masque de bois de la Nouvelle-Calédonie parlent la même langue que les chimères de Notre-Dame ». Déjà, le regard a changé. Il n’est plus question de civilisation supérieure et d’une autre qui serait attardée. Pour Kandinsky, l’art est avant tout spirituel. Il a donc vocation à exprimer l’essence de l’être. Une vision que certains anthropologues partagent à demi-mot, le Britannique Edward Tylor évoquant en 1871 une société humaine où « vous ne verrez pas différer d’un cheveu le laboureur anglais et un Nègre d’Afrique centrale ».
LIRE AUSSI > Pourquoi les tableaux célèbres sont-ils célèbres ?
Pour Dagen, la notion plurielle des primitivismes naît donc d’un rapprochement des perceptions du monde. L’exemple le plus pertinent est à cet égard celui de Paul Gauguin. Devenu peintre, l’ancien agent de change va chercher en Bretagne « le sauvage » puis prend le chemin de Tahiti. Ce « retour aux sources » n’est pas sans difficultés ni ambiguïtés. Mais, comme le rappelle Philippe Dagen, ce parcours-là (ainsi que celui d’autres artistes comme Nolde, Pechstein et celui d’écrivains comme Mel-ville, Hesse évoqués ici) a contribué à forger dès la fin du XIXe siècle l’idée d’un primitivisme incarné, et non plus fantasmé. C’est un premier pas, mais un premier pas seulement.
En guise de conclusion (provisoire), on se souviendra de cette boutade de Picasso :
« L ’art nègre ? Connais pas. »Primitivismes. Une invention moderne, par Philippe Dagen, Gallimard, 400 p., 35 euros.Paru dans « L’OBS » du 7 novembre 2019.
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