zondag 16 maart 2014

SYRIE. 3 ans de guerre, 140.000 morts et un statu quo

Le pays entame sa quatrième année de bain de sang. Un tableau catastrophique où tous les acteurs semblent figés dans un rôle dont ils ne veulent ou ne peuvent plus sortir.

Des hommes secourent une jeune fille blessée, à Douma, près de Damas, le 7 janvier 2014. (Bassam Khabieh / Reuters) Des hommes secourent une jeune fille blessée, à Douma, près de Damas, le 7 janvier 2014. (Bassam Khabieh / Reuters)
La Syrie entre ce 15 mars dans sa quatrième année de violences. De l'espoir de changement, il ne reste rien. Balayé. Comme les vies de plus de 140.000 personnes, les quartiers rasés, la volonté de la communauté internationale, aussi, de faire cesser l'horreur qui se déroule dans le pays. Portrait d'un pays en ruines.

Assad, reclu dans son palais, et candidat à sa succession 

Lorsque les premiers manifestants syriens descendent dans les rues de Damas en mars 2011 c'est, portés par la vague de ce que l'on continue d'appeler les Printemps arabes, pour demander plus de liberté. Pour les plus audacieux, il s'agit de demander que le président Bachar al-Assad, héritier du pouvoir de son père Hafez, quitte ses fonctions.
Trois ans plus tard, reclus dans son Palais, Bachar al-Assad est toujours aux commandes, même si un certain flou entoure son entourage. Il continue de promulguer des lois, comme celle, mercredi, concernant la régulation de l'entrée et la résidence des étrangers dans le pays alors même que ses forces armées ne contrôlent plus certaines zones frontalières… Une manière de montrer son opposition à l'entrée sur le sol syrien de combattants mais aussi de personnels humanitaires sans autorisation de Damas.
Une "violation de la souveraineté de l'Etat syrien", dénonce Damas qui refuse pour autant de fournir toute autorisation aux ONG qui en font la demande.
Bachar al-Assad, qui n'a aucunement l'intention de passer la main, a d'ores et déjà annoncé son intention de briguer un nouveau mandat lors du prochain scrutin. Des élections une nouvelle fois sans réelle opposition, aux résultats sans doute aussi truqués que les précédentes et, cette fois, dans un pays ravagé par la guerre.

Une opposition intérieure traquée

En trois ans de lutte, les opposants qui ont fait le choix de rester en Syrie ont soit trouvé la mort, soit croupissent en prison, soit ont disparu. L'une des dernières figures du mouvement de contestation pacifique, Razan Zaitouneh, s'est elle aussi évanouie dans la nature, arrêtée par des hommes armés à Douma où elle s'était réfugiée après des mois passés dans la clandestinité. Enlevée par les sbires de Bachar pour avoir organisé la rébellion pacifique contre lui ? Réduite au silence par les islamistes ulcérés d'entendre sa voix laïque dans la rébellion ?
Les esprits libres n'ont aucune place dans la Syrie d'aujourd'hui. Pas plus qu'il y a trois ans. Et non seulement les prisons ne désemplissent pas, mais les prisonniers politiques y subissent un sort plus atroce qu'on ne pourrait l'imaginer comme en a témoigné il y a quelques semaines un photographe employé dans l'une d'entre elle qui a fini par fuir le pays.
Non sans emporter avec lui quelque 55.000 clichés pris dans le centre pénitentiaire où il travaillait. Les images de 11.000 personnes décédées, affamées, portant des marques de tortures, de strangulation…


Une opposition extérieure en lambeaux 

Quant à l'opposition extérieure, minée par les divisions, sans réel contrôle sur l'Armée syrienne libre,  ayant perdu le soutien de l'intérieur du pays face à ses échecs successifs, mais aussi sans soutien financier international de poids, elle s'apparente aujourd'hui à un "machin" dont on ne sait plus quel rôle il peut bien avoir. Dernière action en date : la participation à la Conférence dite "Genève 2" : un fiasco
Non seulement, ces pourparlers n'ont abouti à rien de concret, mais ils ont en quelque sorte prouvé l'impuissance de l'opposition extérieure.

La situation sécuritaire catastrophique

La situation sur le terrain reste donc bel et bien catastrophique. Bombardements incessants, civils pris en otages au milieu des combattants, viol comme arme de guerre… la violence à son paroxysme. Les rapports successifs des ONG de défense des droits de l'homme n'y changent rien, la violence perdure dans le pays où quelque 140.000 personnes sont officiellement décédées depuis le début du conflit, des centaines de milliers blessées.
Des quartiers entiers de villes sont désormais transformés en tas de gravats soit en raison de bombardements, soit en l'absence totale de tout objectif militaire comme l'a notamment dénoncé HRW.

Le quartier de Khaldye à Homs (AFP)
Les populations civiles se retrouvent prises en otages entre forces loyalistes et djihadistes qui n'ont que faire de leurs vies.
Les combattants islamistes les plus radicaux de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) s'en prennent, de plus, directement aux populations civiles qui ne respectent pas leur vision radicales des règles de l'Islam : torture, flagellation, exécutions sommaires sont monnaie courante dans les prisons secrètes gérées par l'EIIL dans les zones qu'ils contrôlent notamment dans le nord du pays à Raqqa ou Alep.
Ces violences induisent des conditions de vies absolument catastrophiques pour l'ensemble de la population.

La situation humanitaire épouvantable

Les cas de malnutrition voire de sous-nutrition ne sont plus rares dans le pays. Conséquence des difficultés à transporter les biens de consommation dans le pays en guerre mais aussi instrumentalisation de la faim comme une arme dans le pays.
Des quartiers entiers de villes sont assiégés pour en affamer les populations. L'horreur de la vie dans le centre de Homs ou dans le camp palestinien de Yarmouk au sud de Damas sont les exemples les plus criants de cette instrumentalisation de la faim par Assad : corps émaciés, témoignages poignants, cadavres à la pelle…

Une enfant du camp de Yarmouk (AFP)
Le monde médical est aussi totalement désorganisé dans le pays. Le régime vise depuis trois ans les médecins et infirmières qui ont l'audace de soigner les blessés soupçonnés de soutenir la révolte dans le pays. Le personnel soignant est décimé et de nombreux Syriens décèdent de maladie chronique en l'absence de soin et de médicaments dont l'approvisionnement n'est plus non plus assuré.

Un immense exode est donc en cours

Selon le Haut-commissariat de l'Onu aux réfugiés, les Syriens "sont en passe de devenir les réfugiés les plus nombreux dans le monde", avec quelque 2,5 millions de personnes ayant fui les combats et la misère, dont 1,2 million d'enfants.
Des personnes qui pour beaucoup trouvent un abri dans les pays limitrophes en particulier le Liban, la Jordanie et la Turquie mais dans des conditions souvent périlleuses et misérables. Les accueils dans les plus éloignés, notamment en Europe, sont ridiculement bas et les aides de la communauté internationale d'un niveau toujours insuffisant.

L'immense camp de réfugiés de Zaatari en Jordanie (AFP)
Sans travail, avec un accès limité pour leurs enfants à l'éducation, ces populations plongent dans l'anxiété. Alors qu'une écrasante majorité d'entre eux espèrent pouvoir rentrer chez eux, ils sont plus de 65%, selon une étude d'Oxfam, à craindre de ne pas pouvoir mettre leur projet à exécution.
Et leurs conditions de vie se détériorent encore dans les pays d'accueil. Selon une étude de l'Unicef par exemple, "sur les 200.000 Syriens de moins de 5 ans qui se trouvent aujourd'hui au Liban, 2.000 présentent une malnutrition sévère qui peut entraîner la mort".

Une communauté internationale impuissante

Le ballet des voitures diplomatiques du sommet de "Genève 2" qui s'est tenu en janvier dernier symbolise parfaitement l'action de la communauté internationale ces trois dernières années concernant la Syrie : de l'agitation, un peu de bruits, mais des allers-retours qui ne mènent en fait nulle part.

Le ministre russe des Affaires étrangères Lavrov et le médiateur de l'Onu pour la Syrie Brahimi (AFP)
En trois années, les cartes n'ont pas été redistribuées. Deux camps indéfectibles se regardent en chien de faïence : d'une part Téhéran, Pékin et surtout Moscou qui soutiennent le régime de Damas ; de l'autre les Occidentaux et les pays arabes qui affirment soutenir l'opposition syrienne. Entre les deux, le fossé s'est creusé, aucune vision commune n'a abouti.
Si les deux camps disent vouloir le retour au calme dans le pays, ce n'est pas sous les mêmes auspices. Alors que Vladimir Poutine continue de souhaiter le maintien au pouvoir de Bachar al-Assad, le camp adverse n'a de cesse d'affirmer que le dirigeant syrien a bien trop de sang sur les mains pour rester impuni.
Les deux camps siègent au Conseil de sécurité, seule instance susceptible de permettre une intervention quelle qu'elle soit dans le pays, et bloquent toute décision.
Si l'utilisation d'armes chimiques par Bachar al-Assad contre la population syrienne a fait penser un temps aux Occidentaux (surtout les Etats-Unis et la France) qu'ils avaient l'argument pour user de la force contre Damas, il a bien fallu qu'ils remettent leurs flingues dans leurs étuis : en brandissant la carte "diplomatie", Vladimir Poutine a convaincu chacun d'opter pour le démantèlement de l'arsenal et la tranquillité pour le dirigeant syrien. Un démantèlement toujours pas effectif.
Seule résolution à avoir finalement abouti, la 2139, exige l’arrêt des violences indiscriminées contre les civils, l’arrêt immédiat des tirs d’obus et des bombardements aériens, tels que l’utilisation des barils d’explosifs. Elle exige également que l’accès des Nations Unies et des acteurs humanitaires soit facilité et demande la levée immédiate des sièges imposés aux villes. Mais elle ne prévoit, conformément à la demande russe, aucun mécanisme de sanction en cas de non-respect.
Céline Lussato - Le Nouvel Observateur 

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