On le rencontre au nouveau Sofitel Tour Blanche. Depuis le penthouse, la vue sur l'Océan et la grande mosquée Hassan-II est à couper le souffle. "Casa a un côté impénétrable. Elle cache son coeur." En hommage à sa ville natale, il a créé dans l'hôtel une oeuvre permanente baptisée "Fatal Oriental Synchronicity" : "Une phrase en tubes de néon blanc projetée sur l'un des murs du bar et qui célèbre une des répliques mythiques du film de Michael Curtiz, 'Casablanca' (1942). Elle pose la question du hasard, à travers la rencontre fortuite entre Humphrey Bogart et Ingrid Bergman, qui renvoie par effet de miroir à celle de mes propres parents." De ce père, Louis, marquis de Castelbajac, venu à Casablanca travailler dans le secteur textile, et qui a rencontré dans la Ville blanche Jeanne-Blanche...
Casablanca fait partie de ces noms chargés de nostalgie et de fantasmes. Première escale, dans les années 1920, des lignes de l'Aéropostale, avec Mermoz et Saint-Exupéry ; Californie du monde arabe dans les années 1950 et 1960, elle est devenue au fi l du temps une ville tentaculaire. Loin des grands pôles touristiques, "Casa" est le laboratoire du Maroc moderne. Affairiste, engorgée, assourdissante, livrée aux mains de promoteurs avides, la cité s'est développée de manière anarchique. Une ville-monde où se côtoient travailleurs exilés, riches et pauvres, intellectuels et artistes, villas et bidonvilles, scènes underground et clubs de luxe. Les Casaouis entretiennent d'ailleurs un rapport d'amour-haine envers elle. Souvent comparée à une femme qui se serait prostituée, Casablanca se découvre pour autant vibrante et poignante.
LA CORNICHE
"Ce sont les souvenirs parmi les plus précis de mon enfance. Je me rappelle les longues balades avec mes parents vers Sindibad, cette côte sauvage où je me baignais. Cela reste pour moi le Casa d'autrefois où je regardais passer les chevaux sur la plage."La Corniche, avec ses piscines ouvertes face à l'Atlantique, ses palmiers, ses restaurants, ses night-clubs, ses bars de plage Tahiti Beach ou Calypso, reste le spot diurne et nocturne des familles riches de Casa. A l'écart de la pollution et des embouteillages, il est toujours agréable de s'y promener. Vers Sindibad, les chevaux sont toujours là, avec un centre équestre. En face, l'ancien parc de Sindibad est aujourd'hui en déshérence. Tous les palmiers sont morts. Des promoteurs construisent à la place de nouvelles résidences et un parc d'attractions. Reste la grande plage de AïnDiab, à côté du Morocco Mall, ce nouveau centre commercial de luxe (le plus grand du Maghreb) avec ses 400 marques de mode et de luxe, inauguré dernièrement en grande pompe. Pas toujours du meilleur goût, mais le reflet exact d'un certain Casablanca obsédé par la modernité.
JEUNES CREATEURS
"Je suis passionné par les créateurs d'origine marocaine. J'adore Bouchra Jarrar, déjà connue en France, mais j'apprécie aussi beaucoup le travail de certains jeunes talents comme Amine. Il propose une mode unisexe ultrastylée et décalée avec ses vestes et caftans déstructurés. Il y a à Casa une énergie créative très forte. On m'a d'ailleurs proposé d'être le parrain de la Fashion Week. Je trouve cela très émouvant."Amine Bendriouich (photo), qui a vécu à Berlin, est l'emblème de cette nouvelle contre-culture nourrie d'électro, de hip-hop, de rock alternatif et de street art. Le nom de sa marque, Amine Bendriouich, Couture & Bullshit (ABCB), se passe de commentaires. Ce talentueux garçon, très investi dans les associations culturelles, organise des défilés dans des usines désaffectées, au Technopark de Casablanca et collabore avec des artistes et des photographes comme Deborah Benzaquen, Lamia Naji ou Zineb Andress Arraki. Il a notamment habillé Keziah Jones et Le Peuple de l'Herbe, un groupe électro français. "Un créateur d'uniformes pour anticonformistes", dit-il.
LE CABESTAN "Niché sur la falaise du phare d'AïnDiab, face à l'Océan, c'est pour moi un des plus beaux emplacements sur la côte. A l'époque de mes parents, l'endroit s'appelait Le Cabanon. Ce lieu a non seulement une histoire, mais on y mange les meilleures spécialités de poissons de toute la ville. Mon fils, Louis-Marie, y va maintenant pour dîner et faire la fête."
Une adresse connue de tous les (riches) Casablancais. Un restaurant (ci-dessus, à gauche) tenu durant de longues décennies par les époux Viot, qui y reçurent des célébrités du monde entier (les Frères Jacques, Pierre Bergé, Warren Beatty ou encore Dustin Hofman), sans oublier tout un ballet politi-comédiatique, du shah d'Iran en passant par Giscard ou Chirac, tous venus déguster le fameux saint-pierre à la choucroute. Aujourd'hui revendu à trois hommes d'affaires, il a été entièrement refait par l'architecte Imaad Rahmouni : sols bruts, voilages blancs, meubles de bois et vitres immenses, derniers remparts avant les vagues qui viennent se fracasser en contrebas. A noter, un tea time au champagne entre 13 et 19 heures, uniquement pour les femmes. Mieux vaut réserver pour débusquer une table.LE RICK'S CAFE
"Du nom du piano-bar du film mythique 'Casablanca', ce lieu est devenu réalité soixante ans après le film ! C'est Cathy, une Américaine, qui l'a créé en 2004. Quand on entre, on pourrait croire que le Rick's Café a toujours existé. Même si ce n'est pas le cas, on s'en fiche : les fantômes de Bogey et Ingrid Bergman doivent flotter ici. Et puis, rien que pour la nostalgie des années 1940 et les jam sessions de jazz le dimanche, j'adore."
L'élégante Kathy Kriger aime Casablanca. Elle lui trouve aussi des potentialités touristiques inexploitées. Pour son Rick's Café (ci-dessus), elle a donc acheté une vieille maison de l'ancienne médina, en face du port, et en a fait un repaire délicieusement suranné. La clientèle est plus internationale que casablancaise mais on aime bien la déco élégante et feutrée qui veut vendre un peu du rêve américain originel.
LES ABATTOIRS
"J'adore cet endroit. Il me fait penser à la chanson 'One', de U2, dans une espèce de Berlin post-apocalyptique. Casablanca est une ville alternative pour moi. Ce lieu, résistant, est la manifestation d'une jeunesse qui a construit sa contre-culture. Les gens se sont battus pour que ces anciens abattoirs ne soient pas changés en parking. C'est devenu un squat avec des graffitis, des expos d'art, des spectacles de théâtre et de danse... Je n'ai pas pu m'empêcher d'y dessiner mes 'Anges'."
Ce bâtiment Art déco de style néo-mauresque (1922) a été sauvé in extremis d'un rasage au bulldozer. C'est une mémoire de la ville, un espace hybride, inventif. Réinvestie par des collectifs, associations et artistes depuis 2009, cette friche culturelle est un espace d'expression libre, à la fois ouvert à tous et affranchi du regard de la rue. Il faut y aller un samedi en fin d'après-midi pour voir les enfants du quartier chanter ou assister aux compétitions de skateboard au milieu des graffitis et des gravats. Visuellement fort.
Rue Haïn-Em-Hamra
LES ABOUS
"C'est une boîte de Pandore, un petit royaume. Elle est la seule médina construite par les Français au temps du Protectorat. Je n'ai jamais oublié la gamme chromatique des épices, les placettes ombragées, les ruelles bordées d'arcades... A l'inverse du souk de Marrakech qui est pour moi devenu un mall, il y a ici une vraie vie de quartier."
Tout près du palais royal, cette médina a gardé son âme avec ses murs chaulés, ses libraires, antiquaires, brocanteurs, sans oublier le marché aux olives et bien sûr le souk aux épices, dissimulé sous un dais de parasols multicolores. Il faut venir le matin et déambuler dans les coursives, s'arrêter devant d'étranges bocaux que les femmes viennent acheter renfermant du caméléon séché, des huiles de serpent et autre cervelle de hyène (très rare), imparable pour faire revenir son homme à la maison, paraît-il. Après vos emplettes, posez-vous sur la terrasse du Mauritania, café historique datant de 1947, QG à l'époque de toute l'intelligentsia marocaine.
CINEMA RIALTO
"Le cinéma était une des passions de mon père. Il m'emmenait souvent voir de vieux 'Robin des Bois' ou des films de pirates avec Errol Flynn. Il parlait d'histoires épiques. Le dimanche, on allait au cinéma Rialto. Je me souviens de l'orchestre, des balcons, et de cette atmosphère unique."Ce magnifique cinéma Art déco indépendant, qui date de 1930, a fermé ses portes en 2012. Situé non loin du boulevard Mohammed-V et du marché central où se trouvent les plus beaux bâtiments Art déco, il est l'une des dernières victimes de la spéculation foncière (des promoteurs peu scrupuleux comptent le raser pour bâtir un building) et de tous ces joyaux architecturaux tombés en ruine faute d'entretien au fil des années. Il n'y a presque plus de cinémas indépendants à Casablanca. Très émus, des Casaouis se sont mobilisés et ont créé des associations comme Casamémoire et Save Cinemas in Morocco.
LE PARC DE LA LIGUE ARABE "On l'appelait le parc 'Lyautey' à l'époque. Du nom du maréchal Lyautey qui dessina la ville dans les années 1920. J'allais m'y balader avec ma grand-mère car c'était le poumon vert de Casablanca. Je me souviens être tombé dans ce jardin à l'âge de 3 ans. Il me reste une cicatrice sur le front, c'est ma marque orientale, indélébile."
Asphyxié par la circulation et la pollution, il y a belle lurette que le centre de Casa ne joue plus son rôle de poumon vert. C'est néanmoins ici, à côté du parc de la Ligue arabe à l'abandon, que verra le jour d'ici à fin 2014 "CasArts", le plus grand théâtre du monde arabe. Un chantier piloté par la "starchitecte" française Christian de Portzamparc (né en 1944 à Casablanca) et l'architecte marocain Rachid Andaloussi. Le projet fait polémique à cause de l'énormité des sommes engagées. A l'image de la nouvelle marina, du nouveau tramway et bientôt du TGV qui rejoindra Tanger "pour 2 milliards d'euros, au moment où les finances publiques sont en crise et que nombre de Marocains n'ont pas les moyens de se payer un âne pour se déplacer", explique Clair Rivière (1), une journaliste de Casablanca.(1) "Casa sans klaxon", "Libération", août 2012.
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