Après avoir été autorisées à conduire, les femmes peuvent maintenant voyager seules en Arabie saoudite. Mais le régime continue de réprimer les militantes féministes.
« C’est une bonne nouvelle pour les femmes saoudiennes. Même si les détails concernant sa mise en pratique ne sont pas encore très clairs, cette réforme constitue une avancée importante », note Lynn Maalouf, directrice de la recherche sur le Moyen-Orient à l’ONG Amnesty International.
Ce décret fait partie d’un programme plus large lancé par le prince héritier Mohammed Ben Salmane (MBS). Depuis son arrivée aux affaires en 2016, le jeune prince de 33 ans a multiplié les réformes visant à moderniser son pays et à changer l’image de l’Arabie saoudite. La décision la plus symbolique est sans doute la levée de l’interdiction faite aux femmes de conduire en juin 2018.
Faire oublier Jamal Khashoggi
« L’assassinat odieux de Jamal Khashoggi a profondément écorné l’image du royaume wahhabite qui n’était déjà pas très bonne », analyse Clarence Rodriguez, journaliste spécialiste de l’Arabie saoudite, qui a vécu douze ans dans le pays. La mort du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, le 2 octobre 2018 au consulat saoudien d’Istanbul, avait freiné la stratégie de communication de MBS. Cette nouvelle réforme vise donc à redorer l’image du royaume.Clarence Rodriguez, qui a publié en 2017 « Arabie saoudite 3.0 : paroles de la jeunesse saoudienne » (Editions Erick Bonnier), analyse :
« Les femmes sont un enjeu politique et économique pour MBS, qui a un compteur dans la tête. Pour son projet Vision 2030 [un programme pour sortir le pays de sa dépendance au pétrole d’ici à 2030, NDLR], MBS a besoin de tout le monde, y compris des femmes qui pendant longtemps ont été confinées chez elles. »« Cette réforme entre aussi dans une campagne de séduction des investisseurs étrangers », ajoute la journaliste
Paradoxe de MBS
Ce nouveau droit accordé aux femmes fait également ressortir tout le paradoxe de la politique du prince héritier. Tout en acceptant de mener à bien cette réforme, MBS fait enfermer les militants qui se battent depuis des années pour obtenir ces droits. « C’est toute l’ironie de la situation : on les accuse d’avoir demandé ces réformes, on les laisse en prison, et on fait passer les réformes », dénonce Lynn Maalouf, d’Amnesty International.En faisant taire la société civile et toute personne qui ose dénoncer le système, le régime veut faire passer un message : lui seul a le droit de décider quelles seront les orientations politiques du royaume.
Il n’est d’ailleurs pas impossible que la prochaine réforme vise l’abolition du « tutorat ». Ce système, qui renvoie les femmes à un statut de mineur en ne leur donnant quasiment aucun droit, est au centre des critiques faites au royaume par les associations de protection des femmes. Cette décision serait donc d’un poids symbolique très fort.
« Les Saoudiens mènent une politique des petits pas. Il ne faut pas oublier que le pays reste très conservateur. Ils ne peuvent pas aller trop vite », rappelle Clarence Rodriguez. « Mais s’ils veulent donner des gages à la communauté internationale, l’abolition du tutorat est inéluctable. »
Contrer les « fuites »
Cette réforme a aussi été prise pour contrer les nombreuses « fuites » de citoyennes saoudiennes à l’étranger. Certaines de ces femmes avaient créé un fort émoi sur les réseaux sociaux en diffusant ainsi – une nouvelle fois – une mauvaise publicité pour Riyad. Rahaf Mohammed Al-Qunun s’était par exemple filmée enfermée dans sa chambre d’hôtel à Bangkok en janvier 2019. Elle refusait de sortir et demandait l’asile politique. Elle avait finalement trouvé refuge au Canada.Ces fuites ont sans nul doute contribué à accélérer l’avancée des réformes. Si certains choix, comme celui de donner aux femmes le droit de voyager, sont largement mis sur le devant de la scène, d’autres, plus sombres, sont tout aussi présents. Ainsi, selon une source bien informée de Clarence Rodriguez, les familles saoudiennes ne sont plus autorisées à quitter toutes ensemble le territoire. Un membre de la famille doit rester sur place. Et ce, pour avoir des moyens de pression en cas de nouvelle « fuite » d’un citoyen saoudien.
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