Créé le 26-02-2013
Par Martine Gilson
La fermeture des hauts-fourneaux avait laissé 2.000 sidérurgistes sur le carreau. La vallée de Pompey, près de Nancy, a su faire le deuil de la sidérurgie et se reconvertir.
"Ici, nous sommes sur les cendres des hauts-fourneaux, ceux qui ont
fourni l'acier pour construire la tour Eiffel !", Franck Muratet, 41
ans, petites lunettes, mince comme un haricot, dirige à Pompey, au nord
de Nancy, la société Crown Bevcan France, filiale d'une multinationale
américaine. Des bâtiments très design où se fabriquent chaque année plus
d'un milliard de canettes en acier pour sodas et bières, à destination
de la France, de l'Allemagne, etc.
La moitié de la matière première vient de la coulée d'ArcelorMttal de Dunkerque, l'autre, d'une usine de l'indien Tata aux Pays-Bas. Cet ingénieur lorrain a d'abord parcouru le monde pour réparer des PC. Et puis, quand sa première fille est née, il a voulu rentrer au pays. Dans cette PME de 180 salariés, on travaille en se relayant vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. "L'avantage, c'est que nous ne pouvons pas nous délocaliser", précise celui qui préside également une association de chefs d'entreprise locaux.
Ses coups de gueule sont aussi fréquents qu'avant, et son vocabulaire aussi peu châtié. "Quand je suis revenu, comme préfet, ces couillons de maires n'avaient qu'une seule envie, que je me casse !" L'ancien sidérurgiste, avec la passion et l'entregent qu'on lui connaît, remue ciel et terre pour reconvertir sa vallée. Il crée le Carep, puis un maillage très serré entre les différentes institutions : conseil de pays, communauté de communes, lycée technique...
Le travail de persuasion est difficile, car de nombreux ouvriers peinent à faire leur deuil de l'acier, comme Jean-Luc Neveu, 56 ans, aujourd'hui régleur mécanicien chez Crown Bevcan. Cet ancien de l'acier raconte à quel point la fermeture des hauts-fourneaux lui a "fait mal". "Quand j'y suis entré, j'avais dix-sept ans et demi. L'usine, c'était une grande famille. Bien sûr, il y a la chaleur, la poussière. Mais le métal, j'en suis encore nostalgique. Vous l'avez au bout des mains. On ne fait pas ce qu'on veut avec lui, il vit..."
Martine Gilson - Le Nouvel Observateur
La moitié de la matière première vient de la coulée d'ArcelorMttal de Dunkerque, l'autre, d'une usine de l'indien Tata aux Pays-Bas. Cet ingénieur lorrain a d'abord parcouru le monde pour réparer des PC. Et puis, quand sa première fille est née, il a voulu rentrer au pays. Dans cette PME de 180 salariés, on travaille en se relayant vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. "L'avantage, c'est que nous ne pouvons pas nous délocaliser", précise celui qui préside également une association de chefs d'entreprise locaux.
300 entreprises ont vu le jour
La disparition de la sidérurgie ne condamne pas forcément à la mort lente toute une région, comme le montre la vallée de Pompey, en Meurthe-et-Moselle. Il y a un peu moins de trente ans, la fermeture des hauts-fourneaux a laissé 2 000 sidérurgistes sur le carreau. Aujourd'hui, elle ne compte "que" 10,5% de demandeurs d'emploi, contre près de 12% en moyenne en Lorraine.Ce sont surtout les jeunes qui avaient entre 16 et 17 ans à l'époque qui ont trinqué, explique Catherine Boursier, conseillère régionale socialiste et présidente du Conseil de Pays du Val de Lorraine. Leurs parents ont pu partir à la retraite à 50 ans, avec un joli pécule. Pour la plupart, ils ont pu acheter leur maison. Mais les jeunes ont dérouillé."
Sur le site des hauts-fourneaux et des laminoirs, trois cents entreprises ont pourtant vu le jour dès 1984, au moment de l'hémorragie. Comme Crown Bevcan ou encore Clarion, une fabrique d'autoradios reconvertie aujourd'hui en centre européen de maintenance. Les emplois perdus dans la sidérurgie ont été peu à peu remplacés. Une usine de papier toilette côtoie un centre de purification moléculaire ou une entreprise de fauteuils roulants. Auchan, Leclerc et Conforama se sont installés. Dans la ville, le bâtiment s'en sort. Et dans une Lorraine à l'agonie, Pompey ferait presque figure d'eldorado.Derrière la reconversion, Jacques Chérèque
Avis unanime de tous les responsables locaux : "Cette reconversion n'aurait pas été possible sans Jacques ! Il a tout fait." Jacques ? Entendez Jacques Chérèque, le père de François, l'ancien numéro un de la CFDT. OS aux Forges de Pompey, chef de fabrication, ce militant de choc devient très vite secrétaire général de la métallurgie CFDT, puis secrétaire général adjoint d'Edmond Maire. En 1984, il est nommé préfet délégué pour le redéploiement industriel de la Lorraine, puis ministre délégué à l'Aménagement du territoire dans le gouvernement de Michel Rocard, enfin, élu régional.Il remue ciel et terre pour reconvertir sa vallée
Quand il était aux affaires, on le surnommait "le gros", à cause de sa corpulence et de son côté bon vivant. Aujourd'hui, à 84 ans, il a minci. Mais, bon pied bon œil, il vous fait visiter "son" site avec la passion d'un historien. "Ici, c'était, et c'est toujours le centre de recherche". Celui d'Eugène Herzog, "Gégène", qui a inventé les aciers anticorrosion qui ont permis l'exploitation du gisement de gaz de Lacq, et qui reçut, en 1957, le grand prix de la recherche scientifique.Ses coups de gueule sont aussi fréquents qu'avant, et son vocabulaire aussi peu châtié. "Quand je suis revenu, comme préfet, ces couillons de maires n'avaient qu'une seule envie, que je me casse !" L'ancien sidérurgiste, avec la passion et l'entregent qu'on lui connaît, remue ciel et terre pour reconvertir sa vallée. Il crée le Carep, puis un maillage très serré entre les différentes institutions : conseil de pays, communauté de communes, lycée technique...
"Ils m'ont traité de social-traître, vous vous rendez compte, moi !"
Dès 1982, il s'était mis à dos les sidérurgistes, en leur annonçant : "Il faut construire un autre avenir, les hauts-fourneaux, c'est fini." "Ils m'ont traité de social-traître, vous vous rendez compte, moi !" Sur les murs de Pompey, ils ont tagué des "Chérèque = conversion = trahison". Il y a peu, il est allé, avec l'accord d'Edouard Martin, le héros de Florange, expliquer la même chose aux ouvriers désabusés du site. "Eh bien, un con de la CGT m'a lancé : "Je suis fils de sidérurgiste. Je suis sidérurgiste, et mon fils sera sidérurgiste !""Le travail de persuasion est difficile, car de nombreux ouvriers peinent à faire leur deuil de l'acier, comme Jean-Luc Neveu, 56 ans, aujourd'hui régleur mécanicien chez Crown Bevcan. Cet ancien de l'acier raconte à quel point la fermeture des hauts-fourneaux lui a "fait mal". "Quand j'y suis entré, j'avais dix-sept ans et demi. L'usine, c'était une grande famille. Bien sûr, il y a la chaleur, la poussière. Mais le métal, j'en suis encore nostalgique. Vous l'avez au bout des mains. On ne fait pas ce qu'on veut avec lui, il vit..."
Martine Gilson - Le Nouvel Observateur