Et si le pessimisme bien connu de nos concitoyens était dû à un système scolaire qui sélectionne par l’échec ? C’est une hypothèse retenue par l’économiste Claudia Senik. Interview.
Les Français apprennent-ils le spleen en même temps que les maths et l'histoire-géo? (Antoine Arraou/AltoPress/MaxPPP)
Dans tous les classements internationaux, les Français voient la vie
en gris. Croyant moins en l’avenir que leurs voisins, ils sont
convaincus que pour eux-mêmes aussi, "demain" rime avec "moins bien".
Mais pourquoi le pays de Rabelais et Coluche fait-il tant la gueule ? Claudia Senik,
professeure à l’Ecole d’économie de Paris, s’est penchée sur la
question et émet une hypothèse, qui mérite réflexion : notre maussaderie
serait enseignée sur les bancs comme les maths et l’histoire-géo.
Explications.
Les Français sont-ils vraiment moins heureux que leurs voisins européens ?
- Claudia Senik Quand on leur pose la question, ils déclarent un niveau de bonheur en effet moins élevé. La probabilité qu'un Français se dise "très heureux" est ainsi inférieure de 20% à la moyenne des citoyens européens. Nous sommes pessimistes sur l'avenir du pays et du monde, mais aussi quand la question nous concerne personnellement : suis- je plutôt heureux ou malheureux ? Ma situation matérielle va-t-elle s'améliorer ? Suis-je optimiste quant à mes perspectives personnelles ? A cela, nous répondons toujours de la manière la plus négative, quel que soit notre revenu ou notre âge. Même les Français expatriés répondent presque aussi négativement ! Une preuve que c'est bien un trait culturel.
A propos de vos travaux, le "New Yorker" écrit que les Français sont "heureux d'être malheureux". Y a-t-il une forme de complaisance à gémir sur notre sort ?
- Je dirais plutôt qu'il est culturellement mal considéré en France de paraître trop optimiste : on se moque beaucoup des Américains souriants et de leurs "That's great ! Wonderful !", parce que nous sommes la civilisation du doute et de l'esprit critique. Un Français ressent une certaine fierté à conserver de la distance vis-à-vis des choses - une manière de dire : "On ne me la fait pas". Je crois aussi, avec le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, que c'est une façon de remplir un vide laissé par la mondialisation : comme ce phénomène nous angoisse, que nous n'avons aucune prise sur lui, nous préférons dire "tout va mal se passer" pour nous donner l'impression de dresser un pronostic, donc de maîtriser un peu l'avenir. Mais cela a un effet dévastateur, car plus nous anticipons négativement les choses, moins nous avons confiance en nous et moins nous parvenons à nous adapter.
Vous émettez l'hypothèse que le spleen français viendrait de notre système scolaire...
- C'est une interprétation possible. L'école est censée valoriser les compétences les plus diverses : le raisonnement logique, la créativité, la capacité à entreprendre, à travailler en équipe... Or, l'école française sélectionne sur un nombre très restreint de qualités - en gros, le français et les mathématiques. Elle sélectionne par l'échec une élite trop étroite. Et son système de notation est probablement plus sévère que chez nos voisins. Les petits Français devenus adultes n'ont guère développé l'estime d'eux-mêmes s'ils ont plafonné à 10 ou 12 durant toute leur scolarité... Quand un enfant échoue à une dictée, il ne faudrait pas se contenter de le sanctionner, mais lui faire refaire l'exercice. Pour qu'il perçoive qu'il peut progresser.
Propos recueillis par Arnaud Gonzague - Le Nouvel Observateur
Les Français sont-ils vraiment moins heureux que leurs voisins européens ?
- Claudia Senik Quand on leur pose la question, ils déclarent un niveau de bonheur en effet moins élevé. La probabilité qu'un Français se dise "très heureux" est ainsi inférieure de 20% à la moyenne des citoyens européens. Nous sommes pessimistes sur l'avenir du pays et du monde, mais aussi quand la question nous concerne personnellement : suis- je plutôt heureux ou malheureux ? Ma situation matérielle va-t-elle s'améliorer ? Suis-je optimiste quant à mes perspectives personnelles ? A cela, nous répondons toujours de la manière la plus négative, quel que soit notre revenu ou notre âge. Même les Français expatriés répondent presque aussi négativement ! Une preuve que c'est bien un trait culturel.
A propos de vos travaux, le "New Yorker" écrit que les Français sont "heureux d'être malheureux". Y a-t-il une forme de complaisance à gémir sur notre sort ?
- Je dirais plutôt qu'il est culturellement mal considéré en France de paraître trop optimiste : on se moque beaucoup des Américains souriants et de leurs "That's great ! Wonderful !", parce que nous sommes la civilisation du doute et de l'esprit critique. Un Français ressent une certaine fierté à conserver de la distance vis-à-vis des choses - une manière de dire : "On ne me la fait pas". Je crois aussi, avec le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, que c'est une façon de remplir un vide laissé par la mondialisation : comme ce phénomène nous angoisse, que nous n'avons aucune prise sur lui, nous préférons dire "tout va mal se passer" pour nous donner l'impression de dresser un pronostic, donc de maîtriser un peu l'avenir. Mais cela a un effet dévastateur, car plus nous anticipons négativement les choses, moins nous avons confiance en nous et moins nous parvenons à nous adapter.
Vous émettez l'hypothèse que le spleen français viendrait de notre système scolaire...
- C'est une interprétation possible. L'école est censée valoriser les compétences les plus diverses : le raisonnement logique, la créativité, la capacité à entreprendre, à travailler en équipe... Or, l'école française sélectionne sur un nombre très restreint de qualités - en gros, le français et les mathématiques. Elle sélectionne par l'échec une élite trop étroite. Et son système de notation est probablement plus sévère que chez nos voisins. Les petits Français devenus adultes n'ont guère développé l'estime d'eux-mêmes s'ils ont plafonné à 10 ou 12 durant toute leur scolarité... Quand un enfant échoue à une dictée, il ne faudrait pas se contenter de le sanctionner, mais lui faire refaire l'exercice. Pour qu'il perçoive qu'il peut progresser.
Propos recueillis par Arnaud Gonzague - Le Nouvel Observateur
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