Pour l’amour de Colette, par Nicolas Mathieu, Jeanne Cherhal, Chantal Thomas…
A l’occasion des 150 ans de l’autrice de « Chéri », ses admiratrices et admirateurs célèbrent l’écrivaine et son absolue liberté.
La magie opère dès sa venue au monde, le 28 janvier 1873, à Saint-Sauveur-en-Puisaye. Colette, ce « joyau-tout-en-or » comme la surnomme sa mère Sido, irradie. Les sortilèges de cette enfant solaire devenue l’une des plus grandes écrivaines du XXe siècle, première femme à avoir eu droit à des funérailles nationales, agissent toujours. Par la grâce de son écriture voluptueuse, aux phrases tout en vrilles et volutes transformant la chair du monde en enchantement sensuel. Par sa liberté aussi.
Colette vécut avec plus d’un siècle d’avance sur son temps. Pionnière de l’autofiction, elle fut aussi mime, danseuse, fit scandale sur scène au côté de son amante Missy, lança sa propre marque de cosmétiques et joua les reporters. Divorcée, bisexuelle, mère sur le tard, éprise de son beau-fils de trente ans son cadet, elle promettait aux suffragettes « le fouet et le harem ».
Pourtant, elle inspira Simone de Beauvoir, qui la considérait comme « le seul grand écrivain femme ». Elle était l’émancipation en actes, dans sa vie et dans son œuvre, que l’on songe au « Pur et l’Impur » avec ses réflexions avant-gardistes sur le genre. Révolutionnaire, l’écrivaine le fut aussi dans son rapport aux animaux, antispéciste avant l’heure. « Il n’y a qu’une bête », disait-elle. Et il n’y a qu’une Colette.
« Sa gaieté de désirs »
Chantal Thomas, écrivaine
« J’ai découvert Colette à 15 ans, l’âge d’émois aussi violents qu’inexplicables. “Claudine à l’école”, son insolence, sa gaieté de désirs, sa libre féminité, m’a été une révélation. Depuis, Colette n’a cessé de m’accompagner. Et j’ai appris à évaluer, et à admirer au fil du temps le génie d’une écriture où chaque mot vaut pour lui-même, dans sa fraîcheur charnelle, sa force d’imprévu, et l’intelligence d’un art de vivre, où chaque instant est savouré dans l’absolu. Sous le plein soleil comme sous l’étoile Vesper. »
Académicienne française, dernier livre paru : « Journal de nage » (Seuil).
« Un style d’une allure folle »
Nicolas Mathieu, écrivain
« Colette est évidemment une grande vivante, qui impressionne par ses audaces, ses amours hors des clous, la variété de ses dons, ses existences multiples, son génie à être femme et écrivaine à 20 ans comme à 80, son expérience de tout, son goût des plaisirs infimes aussi bien qu’extrêmes. Entre l’opium et le chocolat chaud, elle ne choisit pas. Entre l’hébéphilie et le saphisme, elle explore toute la gamme. Mais ce qui au fond émerveille le plus, c’est son style, si vif, elliptique, aigu, d’une netteté qui cingle le visage, tout en mouvements et d’une allure folle, ce mot devant être pris dans ses deux acceptions, c’est-à-dire un style à la fois plein de vitesse et d’élégance. Quand on la lit, on l’entend presque souffler : “fouette cocher”. Et pourtant, tout ce qu’elle écrit est si juste, comme saisi en plein vol, dessiné à l’arrêt. »
Dernier livre paru : « Connemara » (Actes Sud).
« Renaître en Kiki-la-Doucette »
Julie-Marie Parmentier, comédienne
« Lorsque je pense à Colette, immédiatement me vient en mémoire ce bœuf auquel elle a rendu hommage : un pauvre bœuf immobile et stoïque et qui pleure sous les coups de son maître. Rien ne tressaille en lui, rien ne bouge. Seules ces larmes qui coulent de ses grands yeux. Et puis, je revois Colette entourée de ses chats, écrivant au lit, des oreillers derrière le dos, sous des couvertures épaisses et moelleuses, et ce regard, farouche, profond, sauvage. A 40 ans passés, elle disait combien chaque jour lui faisait appréhender toute la complexité de la langue française. Colette aimait autant les animaux, les fleurs, le vent, les eaux, que nous, ses congénères. Puissions-nous renaître en Toby-chien ou le chat Kiki-la-Doucette, et nous prélasser auprès du feu en lui dédiant des prières intérieures et en ronflant doucement… »
« Ce que je connais de plus beau sur les enfants »
Cloé Korman, écrivaine
« Colette me donne ce que je connais de plus beau sur les enfants et sur les bêtes. Emerge de son écriture un silence, un mouvement, quelque chose de physique qui fait vivre ma dignité bien plus que toute littérature – l’amour charnel, un paysage, un enfant jouant. L’ouverture de “la Maison de Claudine” “Où sont les enfants ?” est un des textes qui m’émeut le plus au monde. Il donne à voir l’humanité comme une foule d’enfants, à jamais saisis dans la fatalité de la mort mais aussi, mais surtout, dans l’amour fou des mères. Une lutte perdue d’avance mais que nous consentons à jouer à l’infini. »
Dernier livre paru : « les Presque Sœurs » (Seuil).
« Les cheveux de Colette »
Jeanne Cherhal, chanteuse et écrivaine
« Je pense aux cheveux de Colette, à sa coupe courte qui seyait aussi bien à des robes aux volutes imprévisibles qu’à la rigidité d’un smoking d’homme. Dans “Sido”, il me semble, Colette raconte comment, après une longue maladie d’enfance, elle a été contrainte de couper sa longue natte, devenue inextricable sur son oreiller. C’est là qu’elle a adopté cet épais carré court, rendant impossible l’attache de sa chevelure. Les cheveux des femmes étaient un sujet il y a un siècle. Aujourd’hui, ils le sont plus que jamais, et de manière si violente, si absurde… Colette, femme libre parmi les femmes libres, a fait des siens précisément ce qu’elle voulait, en toute désinvolture. »
Dernier livre paru : « Couleurs primitives » (Gründ).
« Sa gourmandise »
Dominique Bona, écrivaine
« J’aime l’univers de Colette : ses maisons, ses jardins, son encre bleue, sa gourmandise, ses mots puisés aux sciences de la terre, et plus que tout son art de laisser les rêves diriger librement sa main quand elle écrit. J’aime moins sa manie collectionneuse (les sulfures, les soupières), ses recettes de cuisine au beurre et à la crème, et la radicale déficience de son amour maternel. Je reste fascinée par sa vitalité, et je garde pour modèle (inatteignable) sa personnalité indomptable : sans tabous ni complexes, sans entraves. Colette renaît chaque jour avec une liberté toute neuve, que rien ni personne n’a réussi à contraindre. Bravo ! »
Académicienne française, dernier livre paru : « Divine Jacqueline » (Gallimard).
« Notre boussole »
Frédéric Beigbeder, journaliste et écrivain
« Un siècle avant Ernaux, Colette a fait de sa vie une œuvre d’art, ce qui est la définition du dandysme. C’est grâce à elle qu’un écrivain a tous les droits : se déshabiller sur la scène d’un music-hall, lancer sa marque commerciale, raconter dans les journaux ses nuits avec des lesbiennes dans les fumeries d’opium, et même quitter son mari pour son fils. La liberté et le style de Colette devraient servir de boussole à toute personne écrivant en langue française. N’oublions jamais le conseil qu’elle donna au jeune Simenon : “Surtout, pas de littérature !” »
Dernier livre paru : « Un barrage contre l’Atlantique » (Grasset).
« Elle n’en fait qu’à sa tête »
Arnaud Cathrine, écrivain
« Je l’ai découverte avec “la Naissance du jour”. Dire que j’ignorais l’une des plus grandes stylistes du siècle dernier… Et dire que je ne connaissais pas cette femme qui incarne pourtant tout ce que je “chéris” : l’orthodoxie lui est totalement étrangère et, libérée de Willy, elle n’en fait qu’à sa tête. Autrice d’une littérature exigeante, elle aura aussi coupé ses longs cheveux, dansé sur la scène du Moulin Rouge, aimé des femmes, puis fait cette hypothèse dans “la Naissance du jour”, donc : après avoir brûlé pendant des années, on a bien le droit de renoncer à l’amour. Tant d’individus se sont forcés et se forcent encore pour se conformer… Colette, elle, ne s’est forcée qu’à une chose : la stricte liberté. »
Dernier livre paru : « Octave » (Robert Laffont).
« Une marrane athée »
Geneviève Brisac, écrivaine
« Longtemps j’ai détesté Colette. J’étais une petite fille misogyne et conformiste. A mon humble avis, une faiseuse de dictées qui parlaient de chats ne pouvait être un génie. On disait des trucs moches sur elle. Je les croyais. De plus, je n’aimais pas la campagne, ni Ravel. Plus tard, j’ai compris que, toute sa vie, elle s’était faufilée entre les méchancetés et les calomnies. Cocteau disait à peu près : “Elle déteste écrire, on comprend pourquoi.” Marrane athée, elle s’était faite toute petite pour éviter les chicanes des hommes de lettres. Ainsi prétendait-elle publier uniquement pour gagner sa vie. Et exagérait son style, paysanne avec accent bourguignon, ou danseuse nue. Renaître n’est jamais au-dessus de mes forces, disait-elle. C’était des déguisements pour une sauvage qui ne cessait de chercher les mots justes pour des expériences innommées, au plus près des âges de sa vie. J’ai aimé la campagne et Ravel aussi, grâce à elle, probablement. »
Dernier livre paru : « A l’amie des sombres temps, Lettres à Virginia Woolf » (NIL éditions).
« Chapeau, Madame Colette »
Emmanuelle Lambert, écrivaine
« Autrefois on l’appelait “Madame Colette”. Ça irritait son ami Jean Cocteau. Trop respectable pour sa fracassante voisine, l’écrivaine, journaliste, danseuse et mime qui avait défié l’ordre social et littéraire en s’imposant pour ce qu’elle était, en faisant ce qu’elle voulait. Madame Colette… il lui préférait la bisexuelle demi-nue au cerveau de poétesse géniale. Moi aussi. Mais depuis quelque temps, Madame Colette me revient. On me dit : “J’ai offert votre livre à… (ma mère, ma belle-mère, ma tante, ma grand-mère, mon arrière-grand-mère).” Ou on évoque une parente, une amie disparue : “Elle l’adorait.” Tout bas on dit : “Moi aussi.” Souvent, les lectrices l’ont transmise à des lecteurs. Et à chaque fois se vérifie la règle voulant que, dans les grandes œuvres, on ne trouve jamais la même chose. On s’en amuse ensemble. C’est que ses livres lui ont offert une dernière métamorphose, transformant l’image sage qu’elle avait fini par laisser en un souvenir mouvant, ambigu, collectif. Alors là, Madame Colette, je vous tire mon chapeau. »
Dernier livre paru : « Sidonie Gabrielle Colette » (Gallimard).
Autour de la figure de Colette
Sidonie Gabrielle Colette, par Emmanuelle Lambert (Gallimard, 216 p., 29,90 euros) : un portrait libre de l’écrivaine à partir de photographies.
Dans l’ombre de sa sœur, par Françoise Cloarec (Phébus, 321 p., 21 euros) : le destin poignant de Juliette, sœur aînée et double inversé de Colette.
Colette en guerre 1939-1945, par Bénédicte Vergez-Chaignon (Flammarion, 334 p., 21,90 euros) : une historienne fait la lumière sur cette période trouble de la vie de Colette.
Réédition du Cahier de L’Herne dirigé par Gérard Bonal et Frédéric Maget.
De Colette
Le Blé en herbe et autres récits, préface d’Antoine Compagnon (Bibliothèque de la Pléiade, 1360 p., 64 euros, en librairie le 23 février).
Réédition de Paris, je t’aime (L’Herne, 160 p., 14 euros). Le Livre de poche renouvelle toutes les couvertures des titres de Colette.
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