À la croisée du jeu vidéo et du documentaire, la dernière production d'Ubisoft apporte un regard neuf et envoûtant sur la Première Guerre mondiale.
Il y a 100 ans, jour pour jour, le 28 juin 1914, l'assassinat de l'archiduc d'Autriche François-Ferdinand enclenchait le mécanisme des alliances et provoquait la Première Guerre mondiale.Cette grande boucherie, l'équipe montpelliéraine d'Ubisoft propose de s'en souvenir à travers un jeu aux airs d'ovni. "Soldats inconnus" - vendu 14,99 euros en téléchargement sur Playstation, Xbox et PC - n'entre pas dans la catégorie classique des jeux de guerre. C'est un jeu sur la guerre. Pas question d'enchaîner les frags façon "Call of Duty", mais plutôt de découvrir, lors d'un récit émouvant, les affres du conflit qui a embrasé le sol européen.
Le titre met en scène quatre personnages, des anonymes, des "soldats inconnus" : Karl, expatrié en France, doit retourner en Allemagne contre son gré lors de la déclaration de guerre, laissant derrière lui femme et enfant ; Émile, son beau-père, qui revêt l'uniforme français ; Freddie, colosse américain en deuil, combat pour la France dans les rangs de la Légion étrangère ; Anna, une jeune Belge, devenue infirmière sur les lignes de front.
Quatre petites histoires qui s'inscrivent dans la grande Histoire, au service d'une vision non manichéenne des événements.
Un univers artistique à fort caractère
C'est avec Émile, le Français, que démarre la partie. Il est suffisamment âgé pour être grand-père, mais pas assez pour échapper à la mobilisation. En quelques tableaux traversés de gauche à droite à la caserne de Saint-Mihiel, le personnage reçoit son équipement, une formation – un mini-tutoriel pour le joueur – et la dose réglementaire d'enthousiasme patriotique, injectée par une Marseillaise guillerette.
Rapide transit par la gare de l'Est, et voilà déjà Émile sur le front en Lorraine, bannière à la main, lancé au pas de charge contre l'ennemi. Il fait beau, la campagne est splendide, les copains tombent comme des mouches : c'est la guerre. D'ailleurs, notre héros lui-même, après être passé entre les obus, se fait faucher par une balle. Le soldat Émile est tombé. Game over ? Non, il est seulement blessé, fait prisonnier par les Allemands, et reconverti cuistot. Il s'apprête désormais à joindre son destin aux autres personnages.
Pendant cette première demi-heure rondement menée, le joueur tombe sous le charme d'un univers artistique à fort caractère, influencé par la bande dessinée, de split screen et de musiques orchestrales.
Le système de jeu mise lui sur le minimalisme : les déplacements s'effectuent dans une 2D propulsée par l'UbiArt Framework, le moteur de jeu conçu pour "Rayman" et repris dans "Child of Light", autre production Ubisoft d'apparence indé.
Les actions de base, qui se comptent sur les doigts de la main (marcher, lancer, interagir, plus une spécialité par personnage) participent à une progression constituée d'infiltration, de réflexes et d'énigmes. À cela, il faut ajouter l'apport d'un cinquième comparse : Walt, un doberman dont la petite taille et la docilité rendent bien des services. Toujours dans une souci de simplicité, les dialogues textuels sont remplacés par une communication à base de pictogrammes.
Un documentaire vidéoludique
L'épure fait la force du gameplay. Dans le flot de jeux toujours plus sophistiqués, en particulier les blockbusters, revenir aux fondamentaux a quelque chose de rafraîchissant.
Cette épure pose aussi les quelques limites du titre : dans "Soldats inconnus", il y a beaucoup de leviers à actionner, beaucoup de manivelles à tourner, beaucoup d'obus à éviter... Après quelques heures de jeu, la mécanique de fond apparaît plus évidente, les situations moins surprenantes. Heureusement, les Montpelliérains d'Ubisoft parent à la lassitude en proposant des environnements historiques fort joliment travaillés, du Paris de Gallieni aux bains de boue et de sang de Verdun.
Si le jeu a pour sous-titre "Mémoires de la Grande Guerre", c'est qu'il fait œuvre d'historien, littéralement, puisque le titre a reçu le label de la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale.
Inspiré par des lettres de poilus, le jeu nous fait lire de passionnantes notices sur la vie civile et militaire pendant le conflit. Où l'on apprend, entre autres, qu'un mouchoir imbibé d'urine pouvait sauver la vie en cas d'absence de masque à gaz. Ces petits trésors d'archives, illustrés par des photos issues du documentaire "Apocalypse" et consultables sur fond d'un émouvant morceau de piano, constituent une part essentielle de l'expérience de "Soldats inconnus". On regrette seulement qu'ils soient parfois proposés à contretemps lors de scènes d'action.
Un jeu pacifique
Enfin, sachez-le, dans "Soldats inconnus", on ne tue pas ! Il y a certes quelque chose de paradoxal à ce qu'un jeu vidéo dédié à la "Der des Ders" repose sur une charpente à peu près entièrement pacifiste. Dans le scénario comme dans les gestes demandés au joueur, nul appel à la violence ou à la détestation, si ce n'est, peut-être, vis-à-vis du Baron Von Dorf, ce bad guy qu'on poursuit comme Bowser dans "Mario".
Dans "Soldat inconnus", le joueur soigne, esquive, contourne, assomme à la rigueur, mais il ne prend pas la vie, parce que ça, "la guerre s'en charge déjà", nous dit Ubisoft.
Dans ce jeu d'allure faussement enfantine, avec ses monceaux de cadavres et ses râles d'hommes blessés qui appellent leur mère sur le champ de bataille, on a le droit de voir une lecture moderne et accessible – une lecture vidéoludique – de cette Première Guerre mondiale que Céline, dans son "Voyage au bout de la nuit", désignait comme un "abattoir international en folie".
Note : 4/5
"Soldats inconnus, Mémoires de la Grande Guerre" disponible en téléchargement sur Playstation 3, Playstation 4, Xbox 360, Xbox One et PC
Cyril Bonnet - Le Nouvel Observateur
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