Un journaliste chinois publie une extraordinaire enquête sur cette tragédie de la folie totalitaire.
Votre livre est le récit implacable de la terrible famine déclenchée par le «Grand Bond en avant». De 1958 à 1961, 36 millions de personnes sont mortes de faim ou victimes de violences, selon vos calculs. Vous avez vu votre propre père mourir de faim.
Yang Jisheng J'étais comme tout le monde un adorateur de Mao. Dès leur arrivée au pouvoir en 1949, les communistes ont déployé une propagande omniprésente. Nous étions persuadés que Mao était un génie, le communisme, un paradis, et le reste du monde, un enfer.
Mes doutes datent de la Révolution culturelle (1966-1976), quand les turpitudes de tous ces révolutionnaires que j'admirais ont été révélées. Mais c'est le massacre des étudiants à Tiananmen, en 1989, qui m'a finalement «lavé» la tête.
- Mao n'a pas délibérément affamé des millions de Chinois...
Non. Mais le PC avait décidé de sacrifier les paysans sur l'autel de son rêve de puissance.(...)La Grande Famine est une conséquence directe du système totalitaire.- Y a-t-il eu des ordres pour encourager la violence?
Non. Mais Pékin exigeait son quota de céréales. Pour plaire à Mao, les cadres locaux ont prétendu que les récoltes avaient été multipliées par deux, par quatre, par dix! Un miracle dû à la pensée de Mao. C'est sur ces chiffres gonflés que la part de l'Etat a été calculée. Dès les premières réquisitions, les paysans n'ont plus rien eu à manger. Mais le pouvoir était persuadé qu'ils étaient animés d'«égoïsme bourgeois», qu'ils fraudaient, qu'il fallait leur faire rendre gorge.
- Pourquoi Chou En-lai, Liu Shaoqi et les leaders du Parti ne se sont-ils pas opposés à ces mesures?
Pour tous les leaders du Parti, Mao était le critère suprême du vrai et du faux. Mao avait toujours raison. (...)
- Et maintenant? Pensez-vous que les leaders issus du 18e congrès du Parti vont relancer les réformes?
L'époque des «hommes forts» est révolue. Le dirigeant suprême doit désormais composer. Il n'est plus le Grand Timonier, il est le chauffeur: ceux qui sont assis à l'arrière décident de la direction. Mais ces gens-là ne pensent qu'à leurs propres intérêts. D'où ce que j'appelle «le dilemme du chauffeur»: il ne peut ni se libérer de ses passagers ni ignorer les aspirations du peuple. Pour ma part, je ne suis pas très optimiste. Le pouvoir des élites est trop grand.
Propos recueillis par Ursula Gauthier
Stèles. La Grande Famine en Chine, 1958-1961, par Yang Jisheng, Seuil, 660p., 28 euros
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