« Il n’y aura pas de masques » : Fred Vargas avait tout compris avec sa « cape antivirus »
En 2006, convaincue du risque d’une épidémie majeure, la romancière de « Pars vite et reviens tard » avait conçu une cape qui faisait beaucoup ricaner, mais paraît aujourd’hui extraordinairement visionnaire.
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Pour les non-initiés, Fred Vargas est une femme, comme son nom de l’indique pas, et un maître du polar – mais peut-être faut-il dire « maîtresse », c’est à chacun de
voir. Depuis « l’Homme aux cercles bleus » (1991) et « Pars vite et
reviens tard » (2001), parus aux Editions Viviane Hamy, son placide
commissaire Adamsberg est en bonne place dans la fantasmagorie policière
et, d’un roman à l’autre, il séjourne sur des millions de tables de
chevet, des séjours brefs tant ces livres-là n’attendent pas.
Aujourd’hui, tandis que l’intéressée se tient en retrait de la vie
médiatique, peu désireuse de commenter l’étrange affaire qui nous
confine ou les aléas de sa propre réclusion, une archive sort des
profondeurs du web et de l’INA et commence à circuler sur les réseaux
sociaux.
On y voit Fred Vargas sur un plateau de télévision en 2006, interrogée par un Ardisson onctueux et carnassier au sujet d’une invention qui fait alors grand bruit : la « cape antivirus ». Dans une marinière toute simple, tour à tour grave et mutine, la romancière explique qu’en cas de pandémie il serait fort déraisonnable de s’en remettre à l’Etat.
Regardez donc, et écoutez bien, à partir de la minute 13’12 :
Il se trouve qu’à ses heures perdues Fred Vargas a écrit, peu de temps avant, un court essai tragi-comique intitulé « Critique de l’anxiété pure » (Flammarion) et qu’elle redouterait presque davantage les effets effroyables de la panique, si une pandémie venait à survenir, que la pandémie elle-même. L’éducation qui se dissout dans la terreur à la faveur d’un événement et tourne à la barbarie, elle appelle ça « l’âme lourde » de l’humanité. Alors chez elle, à deux pas du cimetière du Montparnasse, elle se met au travail et, pendant des mois, ne fait que ça. Elle lit tout ce qui se peut lire, à toute allure, sur les virus en général et H5N1 en particulier, et évalue à 90 % le risque de mutation d’ici à cinq ans. Adamsberg attendra pour d’autres aventures.
Voici son appartement transformé en cellule de crise pour répondre à ce qu’elle appelle « l’imprévoyance » de l’Etat. Elle pense que l’essentiel est de disposer d’objets simples « à basse technologie », et tout d’abord d’une protection pour sortir sans peur faire les courses, entrer dans la chambre d’un malade, vaquer à quelque occupation essentielle. Ce sera une cape en plastique, transparente pour que le monde ne ressemble pas à un champ de corbeaux. Le prototype, elle l’imagine d’abord avec une cagoule, puis un tuba intégré qu’elle teste en famille. A l’arrivée, la combinaison ressemble plutôt à un habit d’apiculteur, qui descend jusqu’aux pieds, avec une ceinture à ajuster au milieu de la foule, quand le risque de contamination augmente, afin d’empêcher que les particules ne s’infiltrent par le bas, et une fermeture éclair au niveau du menton. C’est la « cape anti-H5N1 », la fameuse.
Son idée d’ailleurs est examinée avec intérêt. Le Pr Jean-Philippe Derenne, alors chef de service de pneumologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, voit en elle un esprit scientifique pertinent et l’aide à comprendre la dynamique de l’aérosol, la diffusion du virus par la parole, la toux, les éternuements. Fred Vargas poursuit son aventure de cape et d’essais au ministère de la santé où elle arrive avec un prototype qu’elle enfile devant Xavier Bertrand, qui lui-même en parle en commission parlementaire. Le directeur général de la Santé pense que son invention mérite qu’on mène des expériences. Deux prototypes seront bientôt testés dans le très sérieux Laboratoire national d’Essais. Fred Vargas voulait mettre sa cape à la portée des plus pauvres. « Dans toutes les épidémies, ce sont eux qui trinquent », disait-elle cette année-là.
On y voit Fred Vargas sur un plateau de télévision en 2006, interrogée par un Ardisson onctueux et carnassier au sujet d’une invention qui fait alors grand bruit : la « cape antivirus ». Dans une marinière toute simple, tour à tour grave et mutine, la romancière explique qu’en cas de pandémie il serait fort déraisonnable de s’en remettre à l’Etat.
« Il faudra qu’on puisse être autonomes, ne pas se mettre dans les mains du gouvernement, qui ne pourra pas alimenter les gens en quarantaine vu qu’il n’y aura pas de masques. »Pour elle, ce qu’il faut d’urgence, c’est « un truc qu’on puisse fabriquer à la maison ».
Regardez donc, et écoutez bien, à partir de la minute 13’12 :
« L’âme lourde » de l’humanité
Pour comprendre ce qui se joue ce soir-là, il faut remonter le temps et faire halte en 2004, l’année où une grippe aviaire, celle des oiseaux sauvages et domestiques, apparaît sous une forme inquiétante, estampillée H5N1, susceptible de muter, comme l’annoncent les savants de l’OMS. Si le passage du virus se fait d’homme à homme, la pandémie pourrait être dévastatrice. L’imagerie glaçante de la grippe espagnole colonise les esprits et les réseaux sociaux, en plein essor.Il se trouve qu’à ses heures perdues Fred Vargas a écrit, peu de temps avant, un court essai tragi-comique intitulé « Critique de l’anxiété pure » (Flammarion) et qu’elle redouterait presque davantage les effets effroyables de la panique, si une pandémie venait à survenir, que la pandémie elle-même. L’éducation qui se dissout dans la terreur à la faveur d’un événement et tourne à la barbarie, elle appelle ça « l’âme lourde » de l’humanité. Alors chez elle, à deux pas du cimetière du Montparnasse, elle se met au travail et, pendant des mois, ne fait que ça. Elle lit tout ce qui se peut lire, à toute allure, sur les virus en général et H5N1 en particulier, et évalue à 90 % le risque de mutation d’ici à cinq ans. Adamsberg attendra pour d’autres aventures.
Voici son appartement transformé en cellule de crise pour répondre à ce qu’elle appelle « l’imprévoyance » de l’Etat. Elle pense que l’essentiel est de disposer d’objets simples « à basse technologie », et tout d’abord d’une protection pour sortir sans peur faire les courses, entrer dans la chambre d’un malade, vaquer à quelque occupation essentielle. Ce sera une cape en plastique, transparente pour que le monde ne ressemble pas à un champ de corbeaux. Le prototype, elle l’imagine d’abord avec une cagoule, puis un tuba intégré qu’elle teste en famille. A l’arrivée, la combinaison ressemble plutôt à un habit d’apiculteur, qui descend jusqu’aux pieds, avec une ceinture à ajuster au milieu de la foule, quand le risque de contamination augmente, afin d’empêcher que les particules ne s’infiltrent par le bas, et une fermeture éclair au niveau du menton. C’est la « cape anti-H5N1 », la fameuse.
Une cape à la portée des plus pauvres
L’affaire fait grand bruit et causer dans les dîners en ville. Les ricaneurs ricanent, eux qui se mouillent mais sous leur douche. Fred Vargas a pourtant toute légitimité pour prendre part à une réflexion d’intérêt général. C’est une scientifique décorée de bronze par ses pairs. Pendant vingt ans, elle a été chercheuse au CNRS. Elle est archéologue, spécialiste du Moyen Age et des épidémies justement. En 2003, elle a publié « les Chemins de la peste. Le rat, la puce et l’homme » aux Presses universitaires de Rennes – 400 pages, signées de son vrai nom, Frédérique Audoin-Rouzeau.Son idée d’ailleurs est examinée avec intérêt. Le Pr Jean-Philippe Derenne, alors chef de service de pneumologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, voit en elle un esprit scientifique pertinent et l’aide à comprendre la dynamique de l’aérosol, la diffusion du virus par la parole, la toux, les éternuements. Fred Vargas poursuit son aventure de cape et d’essais au ministère de la santé où elle arrive avec un prototype qu’elle enfile devant Xavier Bertrand, qui lui-même en parle en commission parlementaire. Le directeur général de la Santé pense que son invention mérite qu’on mène des expériences. Deux prototypes seront bientôt testés dans le très sérieux Laboratoire national d’Essais. Fred Vargas voulait mettre sa cape à la portée des plus pauvres. « Dans toutes les épidémies, ce sont eux qui trinquent », disait-elle cette année-là.
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