Dans un roman gorgé d'émotion, Lydie Salvayre, fille d'exilés espagnols, revient sur les massacres perpétrés par les franquistes, et sur l'engagement de Bernanos aux côtés des républicains.
Lydie Salvayre, lauréate 2014 du prix Goncourt pour "Pas pleurer" (Sipa)
Mais voilà, en séjour à Majorque quand éclata, en juillet 1936, la guerre civile espagnole, Georges Bernanos fut choqué par la violence barbare et les rafles aveugles de l'armée franquiste, révolté par la complicité de l'Eglise avec les militaires put schistes et sa justification pieuse de la répression sanglante. Sous l'effet de la colère et de l'effroi, l'ancien camelot du roi écrivit «les Grands Cimetières sous la lune», un pamphlet, d'abord paru dans une revue de dominicains, qui lui valut d'être traité par ses amis de dangereux anarchiste et de voir sa tête mise à prix par le général Franco.
La romancière, qui raconte le «dégoût innommable» éprouvé par l'écrivain français devant «le massacre de misérables» perpétré avec la bénédiction des évêques, sait de quoi elle parle. «J'éprouve le même, des années après», écrit-elle dans «Pas pleurer».
Car Lydie Arjona, alias Lydie Salvayre, est née en 1948 (l'année de la mort de Bernanos), dans le sud de la France, d'un couple de républicains espagnols en exil - mère catalane, père andalou. Et, avant de devenir la romancière de «la Compagnie des spectres», elle a été psychiatre à Marseille. Les lois de la mémoire traumatisée, de l'amnésie sélective, mais aussi de la résilience, n'ont pas de secrets pour elle.
Ici, Lydie Salvayre donne à lire les textes horrifiés de Bernanos en même temps qu'elle fait entendre la voix solaire de sa mère nonagénaire, Montse, qui s'exprime dans un formidable (parfois hilarant) sabir franco-espagnol pour raconter son été 36. Elle avait 15 ans. Elle appartenait à ceux que le clergé franquiste appelait «les mauvais pauvres», ceux qui «ouvrent leur gueule».
Avec son frère, Josep, «un rouge», elle croyait aux lendemains qui chantent et à la jeunesse du monde. Elle avait découvert Barcelone et follement aimé un Français de passage, «beau comme un dieu», dont la romancière veut croire que c'était André Malraux et qu'il serait le père de la soeur aînée de Lydie, née en 1937. Pour cacher la faute, elle avait épousé précipitamment Diego, avec qui elle avait fui l'Espagne en janvier 1939 pour échouer dans un village du Languedoc, où elle vit encore aujourd'hui.
« L'été radieux de ma mère, l'année lugubre de Bernanos: deux scènes d'une même histoire», que Lydie Salvayre, entrelaçant ces deux voix lyriques, orchestre avec maestria. Et une fidélité filiale gorgée d'émotion.
Jérôme Garcin
Pas pleurer, par Lydie Salvayre,
Seuil, 282 p., 18,50 euros
Seuil, 282 p., 18,50 euros
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