Patrick Modiano, chez lui, en 2007. L'auteur de
"la Place de l'Etoile" a reçu ce jeudi 9 octobre le prix Nobel de
littérature. (Sipa)
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Patrick Modiano est le seul écrivain, parmi les plus grands, qui s'excuserait presque de publier un nouveau roman, comme des voisins s'excusent par avance du bruit qu'ils feront samedi soir. A la porte de son appartement, près de la place Saint-Sulpice, il hausse les épaules, émet un long pfuiiiit qui signifie «A quoi bon ?», nous invite à nous asseoir dans son bureau tapissé de vieux livres, et regrette qu'on se soit dérangé pour lui.Sa modestie n'est pas feinte. De son nouveau roman, il prétend qu'il n'est pas satisfait, que si ça dépendait de lui, il le réécrirait autrement. Il ajoute que ça ne sert à rien de courir depuis si longtemps - il aura 70 ans l'été prochain après des souvenirs qui lui échappent chaque fois qu'il croit les attraper. Cette quête incessante, qu'il juge vaine, produit pourtant, après celle de Proust, l'une des plus fascinantes et obsessionnelles recherches du temps perdu.
Dans ce récit purement fictif, mais au parfum très autobiographique, Patrick Modiano met en scène un écrivain, Jean Daragane. Misanthrope (il n'a vu personne depuis trois mois), l'auteur du «Noir de l'été» est dérangé dans sa solitude par la sonnerie du téléphone. D'une voix de maître chanteur, un certain Gilles Ottolini lui annonce avoir trouvé son carnet d'adresses, qu'il avait oublié avoir égaré, et se propose de le lui rendre.
La liste des noms signe le début d'une enquête que va mener Daragane pour essayer de reconstituer un épisode cardinal de son enfance, au milieu des années 1950, dans une maison de la région parisienne (à Jouy-en-Josas, devenu ici Saint-Leu-la-Forêt) où sa mère l'avait placé, et qui fut le siège d'événements mystérieux et dramatiques. Cette période d'abandon, déjà décrite par lui, en 1988, dans «Remise de peine» (on l'appelait alors «Patoche» et il avait encore son frère Rudy), il y revient, comme un détective sur les lieux métamorphosés d'une affaire classée, comme une ombre passant derrière une vitre dépolie.
Tel est désormais Modiano: plus son investigation est spiralée, plus sa prose est linéaire; plus il éclaire le passé, plus il l'obscurcit ; et plus il vieillit, plus il rajeunit. C'est d'une vertigineuse et poignante mélancolie.
LireLe Prix Nobel 2014 s'appelle... Patrick Modiano Au lieu de lui poser des questions qui se seraient ajoutées à celles qu'il n'en finit pas de se poser à lui-même, nous avons proposé à Patrick Modiano de bien vouloir commenter certaines phrases de son roman plein de secrets et d'aveux.
... Lui qui n'avait vu personne depuis trois mois et qui ne s'en portait pas plus mal... (p. 20)
Patrick Modiano A l'exception de certains étés où je ne vois personne, c'est une expérience que je ne connais pas. Cela m'évoque en revanche mon enfance, quand j'étais en pension, une pension carcérale où j'avais l'impression d'être totalement coupé du monde.Si on lui avait demandé quel écrivain il aurait rêvé d'être, il aurait répondu sans hésiter : un Buffon des arbres et des fleurs. (p. 25)
P. Modiano Buffon fait partie des auteurs du XVIIIe dont j'aime la langue limpide. Il personnifie le regret que j'éprouve de n'être pas plus proche des arbres, des fleurs, des animaux. Je suis un écrivain citadin. J'aimerais tellement avoir le talent des grands romanciers russes et anglais pour décrire la campagne, ou celui d'André Dhôtel qui réussit même à la rendre surréelle. J'y vivrais volontiers, mais j'y serais comme un infirme, incapable que je suis de conduire une voiture, de manier un râteau ou de chasser une taupe... [Rires.]Plus jeune, il profitait de la moindre occasion pour fausser compagnie aux gens, sans qu'il pût s'expliquer très bien pourquoi : une volonté de rompre et de respirer à l'air libre? (p. 35)
P. Modiano Cet instinct de fuite me vient de l'enfance. J'avais toujours l'impression que ma mère voulait se débarrasser de moi, qu'on voulait m'écarter, m'éloigner et que j'encombrais. Oh, rien de bien dramatique, mais c'est là que j'ai commencé à nourrir, vis-à-vis du monde, une certaine sauvagerie. Un peu comme les chevaux, n'est-ce-pas ?, qui fuient s'ils sentent qu'on ne les aime pas.Il était jaloux de cette fille [Minou Drouet], parce qu'il avait le même âge qu'elle et que lui aussi à cette époque-là écrivait des poèmes. (p. 46)
P. Modiano C'est un peu absurde, mais ça correspond à ma première année de pensionnat et je me disais que j'étais enfermé alors qu'elle, Minou Drouet, fillette de 10 ans, était libre et déjà célèbre. Je me souviens même avoir acheté à l'époque son recueil de poèmes, « Arbre, mon ami ». C'était en 1957, j'avais 12 ans. Je me souviens aussi qu'à Paris, il y avait toujours une voiture américaine décapotable garée, rue de l'Université, devant le siège des Editions Julliard. Elle me faisait rêver. Je supposais qu'elle était celle de René Julliard, l'éditeur de Minou Drouet, de Françoise Sagan, des jeunes filles. Moi aussi, j'étais jeune et je voulais écrire...Je choisis les noms au hasard, en consultant l'annuaire. (p.53)
P. Modiano C'est la méthode de mon écrivain de héros, c'est aussi la mienne. Je puise dans l'annuaire, mais je passe aussi beaucoup de temps à recouper certains noms réels pour en inventer d'autres ou me rapprocher de ceux dont, sans en être sûr, je crois me souvenir.Ecrire un livre, c'est lancer des appels de phares ou des signaux de morse à l'intention de certaines personnes dont il ignorait ce qu'elles étaient devenues. (p. 70)
P. Modiano Tous mes livres sont des bouteilles à la mer. Mais je n'ai jamais eu de retour. Comme je suis un peu paranoïaque, j'ai toujours pensé que ce silence des personnes que je souhaitais atteindre était volontaire, qu'elles refusaient de me faire signe. Du moins m'encourage-t-il à écrire encore et lancer d'autres bouteilles. D'ailleurs, si les témoins du passé réapparaissaient, seraient-ils fables, ne me mentiraient-ils pas ?Il tapa sur le clavier de l'ordinateur... (p. 72)
P. Modiano Moi, j'écris à la main et je m'en veux. Si j'avais un traitement de texte, je corrigerais aussitôt les répétitions de mots. Imaginez que je ne sais même pas taper sur une machine mécanique ! Il faut qu'une âme charitable saisisse mes manuscrits. Je sais, c'est ridicule. Mais l'ordinateur, c'est trop rapide, ça me donnerait le vertige. Et ça retirerait l'aspect physique de l'écriture dont j'ai besoin. Je n'ai pas davantage d'adresse mail. Heureusement, Dominique, ma femme, en a une.Son père lui disait d'une voix douce : «Je découragerais dix juges d'instruction.» (p. 73)
P. Modiano Le mien ne l'aurait pas formulé ainsi, mais son attitude bravache l'exprimait. C'est du moins comme ça que, enfant, je le voyais. Il répétait sans cesse qu'il ne faut jamais répondre aux questions des importuns. Il avait l'aplomb et le cynisme des gens du milieu.Il avait l'impression de faire la planche. Cette impression, [...] il se demandait si elle n'était pas liée à l'approche de la vieillesse... (p. 75)
P. Modiano Moi aussi, et de plus en plus, j'ai l'impression de dériver, de glisser comme une voiture dont le moteur s'est arrêté descend une pente, en roue libre. Je continue, mais jusqu'où, et surtout pourquoi ?Ainsi avait-il tout repris depuis le début avec la sensation pénible de corriger un faux départ. (p. 129)
P. Modiano Chaque fois que je finis un livre, je regrette de ne pas l'avoir écrit d'une autre manière. Comme si le livre publié n'était que le reflet magnétique d'un livre virtuel et inabouti. J'ai un sentiment d'inaccomplissement. Mais c'est si difficile à expliquer...
Propos recueillis par Jérôme Garcin
Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier
par Patrick Modiano, Gallimard, 146 p., 16,90 euros.
par Patrick Modiano, Gallimard, 146 p., 16,90 euros.
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