22/05/2014 | 11h24
Vendredi 16 mai, 27 lycées de l’académie de Nantes
accueillaient une journée de lutte contre le sexisme baptisée “Ce que
soulève la jupe”. Une initiative qui a beaucoup fait parler d’elle.
Pourquoi en 2014 les hommes ne pourraient-ils pas porter de jupe ?
Quelle est la portée symbolique de ce vêtement dans notre société ?
Analyse.
“On n’avait pas fait de communiqué de presse donc ça avait été très peu relayé” raconte Yohan Bihan, élu à la vie lycéenne au lycée Emmanuel-Mounier à Angers, et qui fait partie des élèves à l’origine de l’initiative. Cette année, les lycéens ont sorti un communiqué de presse, hébergé notamment sur le site de l’académie. C’est ce qui explique, en partie, l’ampleur médiatique prise par la manifestation. Mais pas que.
La mise en lumière de cette “Journée de la jupe” est aussi, et surtout, due aux réactions épidermiques de la Manif pour tous, des Nantais pour la Famille, des Sentinelles et du syndicat étudiant de droite UNI (Union nationale interuniversitaire). Des associations anti-mariage pour tous qui se sont servies de cette journée comme d’un nouveau tremplin pour dénoncer la prétendue déliquescence de la société française et de ses valeurs. Et tant qu’à faire, autant relayer de fausses informations. Ainsi, on a pu lire ici et là (et surtout dans Le Figaro) que les lycéens étaient obligés de venir en jupe et/ou que l’académie de Nantes était à l’origine de l’initiative.
Pris à partie par la députée UMP Véronique Louwagie (Orne) lors des questions au gouvernement la semaine dernière, le ministre de l’Education nationale Benoit Hamon a assuré: “Il n’y a pas de demande faite aux élèves et aux lycéens de cette académie de venir en jupe vendredi. C’est absolument faux. (…) Ce que vous dites aujourd’hui utilise des mensonges colportés par des organisations radicales dont je regrette que sur ces bancs vous colportiez ces mensonges car une simple vérification, Mme la députée, vous aurait permis de le vérifier”.
Dès l’année prochaine, le mouvement pourrait prendre une ampleur encore plus grande. Yohann et ses comparses sont actuellement en contact avec des lycées sur le territoire national, mais aussi à Seattle et à la Haye, en vue d’exporter leur projet. “Les femmes se sont battues pour pouvoir porter le pantalon. Pourquoi les hommes ne se battraient-ils pas pour pouvoir porter la jupe?”
“Les hommes en jupe se heurtent au sexisme et à l’homophobie”
Pourquoi, en 2014, la jupe cristallise-t-elle autant de tensions ? Pourquoi n’est-elle réservée qu’aux femmes alors même que les gladiateurs romains portaient des jupettes et que les Indonésiens continuent encore aujourd’hui de se vêtir de longues jupes appelées sarongs (et on ne vous parle pas des kilts des Écossais)? Professeure en histoire contemporaine à l’université d’Angers, Christine Bard a publié en 2010 une Histoire politique du pantalon et Ce que soulève la jupe (ouvrage qui a inspiré le mouvement du même nom) dressant un parallèle entre la difficulté qu’ont eu les femmes à faire accepter leur port du pantalon, et les obstacles auxquels sont confrontés les hommes épris de jupe :
“Les hommes en jupe se heurtent au sexisme et à l’homophobie (indépendamment de leur orientation sexuelle réelle). On va trouver que la jupe les féminise, comme on a reproché au pantalon de masculiniser les femmes, de brouiller la frontière entre les genres et donc de déstabiliser la société ! La jupe a fabriqué le genre féminin, sur le plan collectif et individuel. Ce qui est sexiste à mon avis n’est pas sa place importante dans l’imaginaire érotique, c’est que la parure, d’une manière générale, soit un privilège féminin. Joli cadeau empoisonné.”Sur un homme la jupe est souvent jugée ridicule, perçue comme un déguisement. “L’impression donnée est celle d’un travestissement, or si certains hommes en jupe se travestissent, la plupart portent une jupe qui ne jette pas de doute sur leur genre masculin. Dans l’un ou l’autre cas, si l’on juge cela ridicule, c’est sans doute que l’on est mal à l’aise avec la fluidité du genre et que l’on s’accroche à des signes de virilité que l’on pense éternels, universels, pour se rassurer : la pilosité par exemple. Le ‘ridicule’, c’est une sanction morale, esthétique, faite au nom de la norme“, analyse Christine Bard.
“Tout ce qui est marqué du sceau du féminin est dévalorisé”
Pour Marlène Coulomb-Gully, professeure à l’université de Toulouse et auteure de Médias : la fabrique du genre, il y a une asymétrie criante entre les vêtements que la société attribue aux femmes et ceux qu’elle attribue aux hommes : “Dans les mouvements de libération, les femmes ont toujours emprunté des codes aux hommes pour évoluer. Mais l’inverse n’est jamais vrai : car tout ce qui est marqué du sceau du féminin est dévalorisé.” Et de souligner que ce n’est pas tant le vêtement en lui-même qui pose problème mais son impact sur nos corps :
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